Pomme, un disque sous son épaule
Sans dénaturer son identité, la chanteuse revisite sa folk par de délicates touches électroniques, exsude des humeurs moins sombres que sur son précédent album et laisse éclater sur ce Consolation, sa créativité débordante en même temps que ses émotions intimes.
Consolation. Ce n'est pas un titre générique de remplissage. Plutôt une façon de désigner. Ou de coller au plus près du ressenti de ses émotions à l'effet télépathique. Pour rompre des solitudes, apaiser, soulager, accompagner nos crépuscules. Armée d'une conscience batailleuse, Pomme crée de petits mirages, des miracles de délicatesse, des chansons-édredons aux charmes troubles. Ne plus se focaliser sur son premier album, loin d'être un ratage mais cadenassé par une armée d'auteurs qu'on lui avait imposée à l'époque. Passage en force qu'elle avait, d'ailleurs, particulièrement mal vécu.
Puisqu'il n'était pas question de s'échapper à nouveau à elle-même, Claire Pommet - son nom au civil – avait repris le contrôle de la barre de son navire dès son deuxième geste artistique. Et elle avait donné l'impression avec Les failles d'avoir beaucoup à dire ainsi que de disposer sur la durée de tous les atouts pour imposer un songwriting aussi fécond qu'irrésistible. Une prise de pouvoir récompensée par un retentissant doublé : révélation album (la plus jeune consacrée depuis Vanessa Paradis en 1990) et interprète féminine à seulement une année d'intervalle. Se rappeler aussi de son incursion heureuse sur des titres de Raphaël (Le train du soir) ou de l'artiste norvégienne à la valeur montante Aurora (Everything Matters). Ranger, par contre, aux oubliettes, sa carte blanche brouillonne offerte cette année par le Printemps de Bourges et partagée avec son épouse Safia Nolin autour du répertoire de Céline Dion.
D'une créativité saillante, ce nouvel album provoque une excitation encore plus marquante que sur le précédent. Ceux qui ne verront en Pomme qu'un artisanat folk propret n'auront de toute évidence survolé que de très haut les reliefs et les textures de ces morceaux écrits comme des missives. Bien sûr, l'auteure-compositrice-interprète n'aura jamais la réputation d'une fille de joie : contenu éthéré et languide, richesse mélodique d'une musique pacifiée sans être inoffensive, ralentie sans être avachie. Des chansons hypnotiques et aux arrangements sophistiqués, dévergondées ici et là par Flavien Berger, fringant sorcier du son. Chutes de moments enregistrés en studio en ouverture, juste avant la convocation de la nostalgie (Jardin). Pomme se souvient et tout lui revient : « les fraises, l'odeur des vacances entre les drames et l'insouciance, les escaliers qui supportaient mes peurs ». Et ce refrain interrogatif : « Pourquoi j'y pense encore ? Y'a quoi de mieux encore ? ».
De la résilience fédératrice (Septembre), des cliquetis vers une autre dimension (Bleu), des berceuses en anglais (When I C U, Puppy), l'utilisation du vocoder pour un hommage à Barbara (B.), clin d’œil à Chihiro, héroïne animée de Miyazaki (La rivière). Sans oublier une révérence suprême à Nelly Arcan, écrivaine et féministe québécoise qui s'est donnée la mort il y a treize ans. Des coulées souterraines d'électroniques s'insinuent à travers les paysages folk en mouvement. Et la voix continue d'imprimer son souverain pouvoir magnétique. Fragile, proche, enveloppante, éclairante, toujours au premier plan. Qui colle, ne quitte pas. Consolatrice, à tout instant.
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Pomme consolation (Polydor) 2022