La renaissance grandiose de Starmania

Starmania, 2022. © Anthony Dorfmann

C’est le spectacle musical le plus célèbre du monde francophone. L’indémodable Starmania, l’opéra-rock de Michel Berger et Luc Plamondon, revient, plus de quarante ans après sa création, à La Scène Musicale de Paris. Une œuvre exaltante et mélancolique, sublimée par la mise en scène de Thomas Jolly. 

Même si sa dernière mise en scène remontait à plus de 20 ans, l’étoile de Starmania n’a cessé de briller depuis sa création en 1979 : plus de six millions de spectateurs l’ont vue sur scène et des millions d’albums (pochette bleue pour la version studio et condensée et noire pour la version intégrale et scénique) se sont écoulés dans le monde. En outre, la plupart de ses chansons sont des tubes. Qui, en France ou au Québec, n’a jamais entendu ou fredonné : Les uns contre les autres, SOS d’un terrien en détresse, Le Blues du businessman, Le Monde est stone ou encore "Oh Oh Secou-ou-ours, j’ai besoin d’amour" ? 

Starmania ce sont aussi des interprètes historiques : France Gall, Daniel Balavoine, Maurane ou encore Diane Dufresne. Enfin, la mort de Michel Berger en 1992 a aussi contribué à lui conférer cette aura qui la fait tant briller. Le risque était de tomber dans un hommage nostalgique où l’on ne prendrait de plaisir qu’à retrouver des standards. Il n’en est rien.

Bonne nouvelle des étoiles

Pourtant, Thomas Jolly, connu pour ses spectacles fleuves (sa dernière création, l’intégralité d’Henry IV et Richard III de Shakespeare, durait 24 heures), rend hommage dès les premières secondes à Michel Berger. Par le biais d’un piano, nimbé de lumières majestueuses, blanches, grisées, géométriques. Des lumières qui bientôt plongent dans le public comme une caresse, une invitation à entrer dans cet univers. Celui de Monopolis, mégalopole de l’Occident, unifié en un seul état.

Tandis que "les néons de la nuit remplacent le soleil", le milliardaire raciste Zéro-Janvier, du haut de sa tour dorée, ne pense qu’à être élu président de la République. En bas, les souterrains sont hantés par Johnny Rockfort et sa bande, les "étoiles noires". Surgissent une galerie de personnages : Ziggy, un disquaire qui s’identifie à David Bowie et rêve de chanter dans l’émission télévisée Starmania, Marie-Jeanne, sa meilleure amie, serveuse à L’Underground café, ou encore Sadia travesti à la "chevelure de bleu azur".

Les costumes sont chatoyants. La scénographie est époustouflante : les lumières représentent aussi bien l’immensité du ciel ou les barreaux d’une prison mentale, qu’elles animent avec splendeur les décors. Les surprises abondent, sans occulter les qualités scéniques et vocales des interprètes (dont certains sont issus de l’émission The Voice en France et au Québec), accompagnés de six musiciens et des chorégraphies fougueuses de Sidi Larbi Charkaoui, qui donnent corps aux autres habitants de la ville.

Une tragédie totale

Surtout, Thomas Jolly (qui prête sa voix à celle de Roger-Roger, l’intelligence artificielle du spectacle) ne vient pas du théâtre pour rien. Son adaptation scintillante restitue toute l’histoire de cet opéra rock, dont on connait rarement l’intrigue, tragique. L’amour y est déçu : Marie-Jeanne, splendide "Serveuse automate" aime Ziggy, qui préfère les hommes. Stella Spotlight (diva déchue, interprétée par l’extraordinaire Maag) aime Zéro-Janvier (formidable David Latulipe), qui lui préfère sa carrière politique.

En outre, malgré le rock, les paillettes et le luxe, apparait le sentiment d’une inexorable solitude et d’une fatalité dont presque personne ne sortira vivant. Sur les huit personnages, sept meurent, suicidés ou assassinés. Tous sont comme les rois et reines de tragédies théâtrales : à la fois très proches, plus grands que nous et frappés de plus grands malheurs. Starmania, opéra-rock futuriste, profondément humain, fait vivre la vie en "grand" sur des mots et des musiques d’aujourd’hui. C’est peut-être ce qui a fait et demeure sa force.  

 

Trois questions à Thomas Jolly

RFI Musique : Comment avez-vous travaillé sur la musique ?
Thomas Jolly : Avec Victor Le Masne qui signe les arrangements additionnels et la direction musicale. C’est un musicien de génie et un humain merveilleux. Et il a une grande capacité à mettre en musique des émotions intérieures. Par exemple, lorsque Stella est éconduite par Zéro-Janvier, il a composé une salve de cordes qui traduit parfaitement son désarroi avant qu’elle n’entame son fameux Rêve et ne saute de la tour. Au départ, on m’avait demandé de faire le spectacle à partir du livret de 1989. Mais (il éclate de rire), j’ai osé dire non ! Je trouvais que, dans le livret de 1989, on perd la folie, la démesure, la diversité du style et des chansons de celui de 1979, et surtout la narration ! Starmania y était séquencé comme une succession de tubes. On m’a autorisé à rebâtir un livret, j’ai surtout pioché dans celui de 1979, en intégrant quelques nouveautés de celui de 1989 comme le Duo d’adieu. Le livret, qui a été établi en 2019, a donné le "la" pour la suite.

Est-ce qu’on dirige de la même façon chanteurs et acteurs ?
Non, c’est même l’inverse. Quand on dirige un chanteur, beaucoup de choses sont inscrites dans la partition : le tempo, les silences, les inflexions de la voix, etc. Le travail avec un chanteur, c'est de trouver pourquoi c’est écrit ainsi. Un acteur a juste les mots et le sens du texte, il faut trouver la musicalité. Mais ce qui rejoint les deux, c’est que ce sont des gens qui pensent à voix haute en chantant ou en parlant. C’est "peut-être un détail pour vous" (rires) mais pour moi ça veut tout dire !

C’était un rêve d’enfant de la mettre en scène ?
J’ai quatre rêves que je n’osais même pas faire et qui me sont arrivés : créer un opéra à l’Opéra Garnier, jouer dans la Cour d’Honneur du festival d’Avignon, les Jeux-Olympiques (Thomas Jolly a été nommé maître de cérémonie des JO 2024, NDLR) et maintenant Starmania. C’est Starmania qui m’a choisi. Ce qui me fascine, c’est qu’elle est inclassable. Plamondon et Berger avaient une trentaine d’années quand ils ont inventé ce spectacle plein d’audace et de créativité, qui s’inscrit immédiatement dans la légende et dans le cœur des gens. Après, bien sûr, j’ai aussi chanté et dansé Starmania devant mon miroir quand j’étais petit ! C’est un privilège immense d’avoir eu à la remettre en scène.

Starmania, représentations à la Scène Musicale à Paris jusqu'au 29 janvier 2023, puis en tournée en France.