Anne Sylvestre, magnifique testament

Anne Sylvestre. © David Desreumaux

Figure majeure de la chanson française, auteure à la fois incomparable et avant-gardiste, Anne Sylvestre revient dans l’actualité deux ans après sa disparition à travers une petite poignée d’inédits regroupés dans l’album Manèges.  Cinq chansons de haute volée et deux instrumentaux.

"Mon cœur est un oiseau/Dans une vieille cage/Toujours il se saccage/À cogner contre les barreaux/Mon cœur est un hibou/Vagabond de passage/Qui brave les orages/Pour rester près de vous ". Secrètement, on espérait retrouver un jour ces mots-là - palpitants et entendus lors de ses derniers récitals - sur un album. Vœu exaucé. Ladite chanson s’appelle Cœur battant et son écoute aussi émouvante que presque troublante. Comme une voix d’outre-tombe qui se rappellerait à nous. Impérieuse, familière, consolatrice et étrangement vivante.

Depuis Juste une femme, disque de morceaux originaux sorti en 2013, on savait qu’Anne Sylvestre bataillait pour retrouver l’inspiration. Elle avait besoin notamment de prendre à la fois du recul et soin d’elle après la disparition de son petit-fils lors de l’attentat du Bataclan.  Reste qu’elle n’avait jamais quitté la scène, faisant de ce terrain de jeu sa béquille. "Elle avait prévu d’enregistrer ce disque au cours de l’année 2021. C’était quelqu’un qui avait besoin de se fixer des échéances pour être plus productive", confie Clémence Chevreau, sa petite-fille autrement connue sous le nom d’artiste Mèche.

Un AVC fatal, survenu le 30 novembre 2020 à l’âge de 86 ans, ne lui aura pas permis d’aller totalement au bout de son entreprise. Cinq titres achevés, tous joués à plusieurs reprises en spectacle (trois d’entre eux sont des captations live). Ni maquettes ni esquisses de chanson ne complètent ici le package. "Une chanson qui n’est pas terminée, ça ne nous appartient pas. Elle n’aurait pas aimé qu’on mette le nez dans ses carnets et fichiers audio, alors on ne l’a pas fait. On ne sortira pas d’autres chansons nouvelles. On a aussi fait ce disque pour clore le coffret de dix-neuf CDs.  Au moment de sa publication (en 2017, NDLR), il contenait une pochette vide pour l’album à venir et on trouvait ça assez triste de laisser cela en l’état", précise Clémence Chevreau.

L’album débute par l’instrumental de Que des lettres d’amour joué lors du concert hommage à la Cigale l’an dernier et se termine par celui de Manèges qui ouvrait son ultime tournée. Comment aussi ne pas être foudroyé sur place par Avec toi le déluge ? Urgence de l’interprétation doublée d’un texte d’une puissance inouïe autour d’un déchaînement climatique, d’une vision de fin du monde et de la force vitale du lien amoureux. S’y niche à nouveau l’eau, l’une des obsessions du répertoire d’Anne Sylvestre.

Dans cet album, il est aussi question du sort des sentiments à l’heure de la modernité (Texto) ou de la place prise par l’artiste en confrontation à la femme civile (Maman la chanteuse). Là encore, on ne peut s’empêcher de penser à la reconnaissance qu’elle aurait amplement méritée durant sa longue et riche carrière. "Évidemment qu’elle était attristée de ne pas être mise à la même place qu’un Brassens ou une Barbara. C’était un peu une blessure pour elle. Et personnellement, je trouve ça injuste qu’on ne la hisse pas au même niveau médiatiquement", témoigne Clémence Chevreau.

Enfin, la nostalgie de l’enfance lui revient dans le coup avec Manèges, chanson aussi réconfortante que déchirante. "J’ai vendu les manèges où vous ne viendrez plus". On ne cessera pourtant jamais de revenir se réfugier parmi ses chansons en majesté.

Anne Sylvestre Manèges (EPM Musique) 2022
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