Adib Alkhalidey, sculpteur sonore de l'émotion

Adib Alkhalidey, 2022. © RFI/Léopold Picot

Adib Alkhalidey, chanteur et comédien québécois, vient de sortir un deuxième album intitulé Pour tuer le temps. Avec son titre De l’amour pour toi, il est le dernier coup de cœur musical des Médias Francophones Publics. Portrait d'un artiste émotif qui met l'écriture au cœur de son processus créatif.

Dans le sous-sol du label québécois La Tribu, aménagé de guirlandes et de posters vintage, Adib Alkhalidey, 34 ans, déboule des escaliers l'air timide, avant de lâcher un grand sourire. Barbe longue – il la garde pour son spectacle d'humour, précise-t-il –, lunettes argentées et casquette noire vissée sur la tête, l'artiste se prend un café. Nous sommes mi-décembre sur la rue Saint-Denis, une des plus branchées de Montréal.

Adib est né au Maroc, d'un père irakien ayant fui la dictature et d'une mère marocaine. Partie vivre à Montréal, sa famille le voyait plutôt être médecin ou avocat : c'est cliché, mais c'est vrai, affirme-t-il, un sourire en coin. "Certains ont le couperet de la réussite artistique au-dessus de la nuque, moi, j'avais le couperet de la réussite professionnelle, et c'est normal, ça fait peur l'artistique. Mais du coup, c'est plus dur pour un enfant d'identifier ses passions", résume le chanteur. Son père ne se faisait néanmoins pas d'illusion. "Au lieu de s'énerver contre moi, mon père, après un long moment de silence, me disait : 'toi, je ne sais pas ce que tu vas faire dans la vie, mais, tu vas faire ce que tu as à faire parce que tu es têtu'", raconte-t-il avant d'exploser de rire.

L'écriture pour intuition

À 34 ans, le Québécois a déjà parcouru un long chemin, et expérimenté beaucoup, malgré les doutes. "Il y a un phénomène très étrange par rapport à l'art, c'est que personne, y compris toi, ne croit en toi. L'écriture, je pensais que ce n'était pas pour moi." Il suffira d'un déclic, un prof qui, à 18 ans, l'accuse d'avoir plagié une nouvelle, sans pouvoir en donner la preuve. "Il a googlé mon texte et il n'a pas trouvé, mais il m'a dit : 'Je te donne la note que tu mérites, mais je ne crois pas que ce soit toi qui l'aies écrit'. À ce moment-là, j'ai su que j'écrivais bien ou que j'avais un certain talent d'écriture", sourit Adib.

L'artiste expérimente, guidé par une petite voix féminine qui résonne dans sa tête. La voix de l'intuition, explique-t-il : "C'est une voix apaisante, mais exigeante. Je sentais des bulles d'univers et d'écosystèmes qui existaient à l'intérieur de moi et qui autrement que sur le papier n'auraient jamais existé". Après des études de cinéma et l'École nationale de l'humour de Montréal, il enchaîne les arts. Comédien, acteur, scénariste, les mots l'entourent, il les façonne. Adib laisse planer un long silence, puis résume : " Je ne prends pas ça à la légère, j'ai l'impression qu'aujourd'hui les mots ne veulent plus dire grand-chose pour les gens. Mais quand j'écoute ou quand je lis des textes aussi forts que ce que j'ai déjà entendu dans la chanson française, je me dis que les choses ont un sens et qu'il ne faut pas abandonner".

Parmi ses inspirations, la musique francophone des années 1960 et 1970, dont il aime l'entremêlement entre la langue et la mélodie. Puis la musique arabe de la même période, pour la puissance sonore des chanteuses, comme Fairouz. Jacques Brel, bien sûr, que son oncle, français, lui a fait découvrir : "Adolescent et jeune adulte, tous les jours, j'écoutais du Jacques Brel. La chanson des vieux amants, c'est la plus belle chanson de tous les temps. Je n'ai jamais lu un texte aussi puissant. Il permet à celui ou celle qui veut le comprendre que la langue française est mystérieuse et magique, et qu'elle a des pouvoirs".

Mélodies émotives

Lui qui a toujours chanté pour son plaisir ou celui de ses amis, ne découvre la pratique musicale qu'autour de 25 ans. Après plusieurs spectacles de stand-up, des scénarios et des films, Adib se lance, guidé par son intuition. Il profite du confinement pour apprivoiser le piano. "On ne pouvait passer du temps avec personne, donc j'ai passé beaucoup de temps seul. J'ai juste… je le dis, mais je le pense vraiment : j'ai juste laissé mes doigts se promener sur le piano, sur la guitare, sans réfléchir au résultat, pour voir ce qui se passe". Un premier album, Les cœurs du mal, sort sous son pseudonyme Abélaïd en 2020, puis en 2022, Pour tuer le temps.

L'âme, le temps, l'amour, émergent de ses expérimentations, naturellement, au fil des mélodies. Ces dernières sont retravaillées avec son équipe, Mathieu Magny, coréalisateur, et Dominique Plante, au mixage. Les rythmes sont accentués, l'album prend forme sur des basses tourmentées et profondes. Le résultat sonne juste, mais ne parlera pas à tous, car il résonne avec la quête d'Adib Alkhalidey : celle d'apprivoiser les arts pour y forger ses propres émotions, quitte à perdre ceux qui ne les ressentent pas.

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