Miossec à l'unisson

Miossec, 2023. © Vincent Gouriou

C’est le disque qu’on attendait cet hiver. Miossec sort Simplifier. Un petit bijou (onze morceaux) rock, exalté, épuré aussi, comme son titre l’indique, finement ciselé.

Miossec aime bien concevoir des disques au présent et leur donner des titres à l’infinitif (Boire, Baiser, Apprendre, etc.). Lorsqu’on lui en fait la remarque, le chanteur, qui sort à peine de Boire (sa dernière tournée) et aimerait qu’on ne voie pas de l’autobiographie dans chaque chanson qu’il écrit, a un petit sourire. "Si je l’avais mis au participe passé, cela m’aurait concerné. Ce verbe est apparu très vite, comme un mantra. J’aime la simplicité en musique, mes morceaux à la guitare sont souvent simples. Cela résonnait aussi avec ma vie personnelle, même si je n’accumule pas beaucoup, j’ai déménagé et j’ai dû bazarder des choses, ça m’a allégé". La simplicité, il l’a aussi trouvée dans le lieu où il a enregistré chez lui, dans le Finistère nord.

Le Finistère au cœur

Il s'agit d'un écrin auquel on doit l’incroyable impression d’unité qui se dégage des chansons de Simplifier. Une atmosphère sereine, nous raconte avec chaleur le chanteur. "L’idée, c’était de ne pas être frustré, de m’enfermer seul avec des guitares. Le studio c’est 'professionnel', il y a le temps qui passe, l’horloge qui tourne, l’argent, tout ça met en tension. Et puis, dans un studio, à l’autre bout de la France, je me sens déraciné, je n’y peux rien. Paul Le Galle, l’ingénieur du son, est venu enregistrer les maquettes, puis Alexis Delong est venu faire le mixage. On a fait la production ensemble. On a tous les trois, nagé dans la même direction".

La formule n’est pas hasardeuse pour ce fils de plongeur, dont le grand-père est mort sur un bateau, coulé par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet attachement à la mer résonne un peu dans les paroles de Je m’appelle Charles, hommage au vrai patron du Vauban, l’hôtel-bar-restaurant-mythique du Ponant.

La Bretagne est aussi au cœur du clip Mes voitures, qui a été tourné dans la région de Brest. La voix rauque, fragile, si caractéristique de Miossec, nous raconte l’histoire de quelqu’un qui se remémore ses voitures. "Celle qui était belle à se fendre/Et celle dont je n'aurais jamais jamais dû me séparer". Qui par analogie évoquent aussi des histoires d’amour. On y sent que Miossec prend du plaisir à chanter sur cette musique un brin electro, au rythme entêtant, aussi soutenu que celui d’une automobile qui file sur l’asphalte.

Un thème un peu surprenant. L’auteur-compositeur s’en amuse. "C’est le sujet le plus bateau de la musique rock américaine ! Je voulais montrer comment les voitures peuvent représenter différents chapitres de la vie". Portée par l’énergie de la tournée, Simplifier enregistré entre les concerts, est tout sauf un album lugubre. "Je bénéficiais du bonheur qui se dégageait après les concerts, je ne pouvais pas faire un disque plombé, c’était un joli carburant", nous raconte-t-il, filant la métaphore des voitures.

Ceux qui ne sont rien

Pourtant, le disque n’est pas exempt de gravité. L’amour en fuite, sur Tout est bleu et Je souligne, aussi entêtant qu’un chagrin d’amour, la mort sur le sublime Mes Disparus (par ailleurs très dansant), la rupture sur Le Fruit. Une chanson à la musique majestueuse où Miossec raconte l’histoire d’un homme qui s’est fait "manger tout cru" par une femme qui lui a "fait la peau".

Le chanteur célèbre aussi dignement les vies minuscules, ceux auxquels on n’a pas appris comment "fonder une famille et la garder sous un toit" (Le Message). "Quand j’étais tout jeune, je travaillais à Ouest France. Mon idée, c’était de faire entrer dans les pages du journal des gens qui n’y sont jamais représentés. Ces gens qui ne sont pas dans une association, un club sportif, etc. Ceux qui sortent des cases habituelles", se souvient l’ancien journaliste. Il en a peut-être aussi gardé un goût pour les faits divers et les bandits étranges.

Ainsi dans Meilleur jeune espoir masculin, Miossec se met-il dans la peau de l’acteur Gérald Thomassin, par ailleurs marginal et toxicomane, un temps accusé de en 2013, porté disparu depuis 2019. "J’ai toujours eu le goût des marges. J’ai toujours été plus à l’aise, même quand j’étais gamin, avec les désaxés", nous raconte-t-il. En l’occurrence, Thomassin le touche. "Dès qu’il quittait le tournage d’un film, il retrouvait la rue et ses compagnons d’infortune. Cette façon de ne pas être dans la grande famille du cinéma, j’aimais ça. Il trouvait son bonheur dans la rue, ne voulait pas être plaint. C’était quelqu’un de digne et de brillantissime. Par ailleurs, les acteurs français me désespèrent un peu. Ce n’est pas au cours Florent qu’on apprend à jouer comme lui !".

Une unité musicale

Dans Qui, quoi, où, comment et pourquoi, c’est à un séducteur invétéré qu’il s’adresse. Lorsqu’on demande à Miossec s’il se met aussi souvent dans la peau des autres pour éviter de parler de lui, il acquiesce. "Oui, j’ai l’impression d’être plus dans la peau des autres que dans la mienne. Mais je sais que c’est peine perdue d’expliquer ça. Utiliser le 'je' cantonne dans l’autofiction. Ce qui n’est pas le cas. Je m’en vais, par exemple, tout le monde pensait que c’était autobiographique alors que ça vient du Mari de la coiffeuse de Patrice Leconte !"   

Pour autant, les onze chansons de cet album qu’il a voulu délibérément court, mais qu’il estime déjà long dans une époque "où l’on dévore les albums comme des 45 tours", sans jamais se répéter, dégagent un grand sentiment d’unité.

Tout cela est lié au contexte d’enregistrement, au parti pris assez minimaliste, mais aussi à la boite à rythmes choisie. "Tous les rythmes viennent d’une boite à rythme qui date de 1969. C’est une vraie antiquité, elle n’est pas raide, le son est boisé, fluctuant. Grâce à elle, il y a un peu de mambo et même de biguine sur l’album ! Le même disque avec une machine plus récente aurait sonné bien plus froid", s’enthousiasme-t-il. Si le chanteur s’inquiète de notre carence en émerveillement sur Une histoire de soleil, on ne s’en fait guère pour lui : parfois teintée de ténèbres, Simplifier apporte une sacrée lumière à notre hiver.

Miossec Simplifier (Columbia) 2023

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