Flavien Berger décroche la Lune
Créateur hors ligne, attiré par le goût de l’inconnu et la notion du temps, Flavien Berger solidifie encore ses fondations avec Dans cent ans. Un troisième album sensitif, rêveur, happant, qui confirme à quel point ce garçon de trente-six ans est devenu un très grand.
RFI Musique : avez-vous pensé dès le départ les albums Léviathan, Contre-temps et Dans cent ans comme une trilogie ?
Flavien Berger : Je savais que ça allait se répondre, que j’allais faire mon deuxième sur le voyage dans le temps alors que je m’attelais à Léviathan. Et au moment de Contre-Temps, je savais que j’allais clore par un troisième. Je me suis toujours donné des éléments de question pour y répondre dans le disque suivant. Je pose des petites pierres sachant que je vais devoir aller les rejoindre : par exemple, ce jeu des consonances dans les titres d’album, celui des numéros (88888888, 99999999, 66666666, NDLR). Tout ça, ce sont des espèces de structures qui permettent d’avoir des zones à remplir dans les disques suivants. La trilogie, ce n’était pas dès le début. Mais c’était induit qu’il y aurait une espèce de continuité entre eux.
D’une certaine manière, il est successivement question de présent, passé et futur. Le temps, c’est une obsession ?
Je m’en suis rendu compte il n’y a pas longtemps, je ne l’ai pas fait exprès. Le temps, c’est un des constituants de la musique. Elle se déploie dans le temps, elle a une donnée précise. Étant donné que ces disques reflètent ce que c’est l’exploration de la création musicale, il est normal que le sujet temporel soit un peu central. Il y a une volonté d’être un peu métaphysique. Le premier raconte la découverte de ce qu'est vraiment un album entier, le second parle de la substance musique comme possibilité de voyage dans le temps via les souvenirs. Et celui-ci évoque peut-être l’inconscient, en l’occurrence faire des morceaux et ne pas savoir vraiment ce qu’ils expriment.
Abordez-vous la musique de manière sensitive ?
Brigitte Fontaine dit qu’elle fait des chansons dans lesquelles elle raconte des états. Ce ne sont pas des histoires, ni uniquement des sensations, mais un contexte. Je pense que je me reconnais vachement dans cette idée-là. Je parle des sens, mais pour me pencher de ce qu’il y a autour de la personne. Évoquer un endroit à un moment qui peut plus ou moins résonner avec l’auditeur.
Puisque vous parlez d’états, quel était ici l’état d’esprit ?
Je voulais faire un disque qui fait peur, mais je n’ai pas réussi (rires). Explorer l’occulte avec ce que cela contient comme figures : le diable, le cauchemar, l’inconscient… L’idée était de croiser plusieurs thématiques pour en dégager une nouvelle. Un peu comme deux couleurs qu’on mélange pour que cela en fasse une troisième. Un désir aussi de continuer le geste développé sur les deux précédents avec des chansons pop, d’autres qui s’étirent, des instrumentaux. Et puis, il y a ce morceau de quinze minutes qui passe d’une forme musicale à une autre.
D’ailleurs sur ce morceau-fleuve et éponyme, il y a presque tout de votre approche artistique entre electro, chanson française, instrumentaux et musiques savantes…
Un académisme également à la fin du titre avec l’ensemble d’instruments à vent. En termes de production, ça n’a pas trop coûté d’argent de faire ce disque puisqu'il y avait très peu d’intervenants. Donc à un moment, on a mis les moyens et on s’est mis à enregistrer plein de musiciens et musiciennes dans la même pièce avec des bassons, de la clarinette basse… Le but, c’était d’investir le champ de l’instrument à vent qui se rapproche encore plus de ma voix par rapport aux violons. Comme je compose beaucoup à la voix, j’étais content au moment de l’arrangement de voir le passage de ce qui a été composé et de ce que c’est devenu avec les instruments.
Presque une épopée cinématographique ?
C’est un peu pensé comme un film. Le texte du début est en travelling arrière. On part d’un regard sur une photo, on dézoome, et on quitte la pièce, le territoire. C’est une dynamique de cinéma. Quelque part, ce n’est pas un disque très étonnant, sans formes nouvelles. Il y a des détails, d’autres explorations. Avec ce disque-là, je me suis donné une sorte de cahier des charges, de contraintes créatives.
Vous renvoyez pourtant plutôt l’image de l’artiste à la liberté absolue…
Il n’y a rien de plus contraignant qu’un morceau pop ou qu’une chanson avec une structure classique. Répéter trois fois le refrain, ça l’est par exemple. J’aime bien jouer avec ce truc qui est assez "alien" pour moi et me dire : qu’est-ce que je peux bien raconter là-dedans ?
La mort ne traverse-t-elle pas en filigrane ce disque ?
Complètement. Un morceau comme D’ici là est une espèce de fausse chanson d’amour. Quand tu l’écoutes, tu peux penser que je m’adresse à une personne que j’aime ou qui m’attire. En fait, je m’adresse à ma propre mort. C’est assez nouveau me concernant d’avoir un sous-texte et de jongler avec ça. Feux-follets, c’est un morceau sur le deuil ou même plus précisément sur l’idée de se rassembler autour d’une absence. J’accepte sur ce disque le fait que je vais mourir, ne serait-ce que par le titre.
N’est-ce pas la première fois que votre voix soit mise autant en avant ?
Tout est venu très naturellement. Le mix de la voix, ç’a toujours été un sujet chez moi. Là à aucun moment, je n’ai demandé qu’on baisse ma voix sur le disque. Très tôt, j’ai mis la voix très forte dans les maquettes et surtout, je la traitais très peu. À force de faire des disques, je commence à savoir ce que j’arrive à chanter facilement. Le fait d’interpréter, c’est nouveau et pourtant évident. Je n’ai rien à cacher et tout est en "contreforme" de la voix. Et j’ai accepté de ne pas comprendre tout ce que j’écrivais. Du coup, je ne suis pas dans une espèce de sophistication.
Vous avez co-réalisé le dernier album de Pomme et vous vous êtes emparé récemment du répertoire de Brigitte Fontaine et Areski Belkacem lors d’une création en compagnie de Bonnie Banane. Un désir de se rapprocher davantage de la chanson ?
Chanson française ou électro, ça ne veut rien dire. J’ai dit ça dès le départ de morceaux electro dans lesquels il n’y avait pas de voix. J’appelais ça déjà des chansons. J’ai toujours eu l’impression d’en faire, sauf que maintenant ça y ressemble (rires). Écrire des textes, les penser, cela m’intéresse autant que la réalisation. En co-réalisant l’album de Pomme, j’ai compris des choses évidentes comme l’intérêt du songwriting. Le disque n’est qu’une des représentations de la chanson. Cela a été très imprégnant et cela m’a permis de faire des chansons comme Soleilles. Je peux prendre juste une guitare ou un piano et la jouer.
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Flavien Berger Dans cent ans (Pan European Recording) 2023