Zaho de Sagazan, la foudroyante

La chanteuse française Zaho de Sagazan. © Zoé Cavaro

Véritable sensation du printemps, encensée à juste raison par l’ensemble de la profession et promise à s’inscrire dans la durée, Zaho de Sagazan, auteure-compositrice-interprète à la voix aussi singulière que vibrante, conjugue avec maestria la chanson à textes et l’électro dark sur son épatant premier album La symphonie des éclairs. Portrait.

Un souvenir live pour commencer. Celui des Francofolies de La Rochelle, l’été dernier, où elle était programmée à l’heure de la sieste. Déjà saisissante par son énergie pétaradante et une interprétation à la fois clinique et habitée. Elle donnait un concert comme un véritable test de résistance aux températures extrêmes de sa musique, oscillant entre la fournaise et la chambre froide, dont l’écriture lettrée et imagée s’accommode avec insolence. Une leçon de versatilité, de risque, de panache.

Zaho de Sagazan avait déjà pris là rendez-vous avec l’avenir et les espoirs placés autour d’elle n’ont cessé depuis de se déployer crescendo. Parce qu’à moins de vivre reclus dans un bunker, impossible aujourd’hui de passer à côté de cette déferlante. Au-delà de l’impressionnant carnet de bal promotionnel et d’une quasi-unanimité (le magazine Télérama lui a même consacré sa couverture, fait rare concernant un premier album), la feuille de route annonce actuellement plus de quatre-vingts dates pour cette année.  

Être soi-même

Face à cette montée aux allures de conquête, la jeune fille de vingt-trois ans préfère se tenir à distance des contours de la notoriété. "Je ne cherche pas à être reconnue dans la rue ou à être riche. L’idée de ne pas être soi-même me fait peur, car ça amène du vice, de la pression. En revanche, je rêve de faire des classiques, des chansons tellement belles qu’elles rentrent dans le cœur des Français".

Elle a du chien et un regard qui se coordonne avec un franc-parler avenant. Orchestre la démonstration avec une clarté évidente. Vit toujours en colocation avec sa meilleure amie à Nantes. Dit : "La musique m’a donné une folle énergie. Les artistes ont des super-pouvoirs et j’aimerais bien les avoir. Pas pour me la péter, mais pour être capable de faire quelque chose qui fera tellement de bien aux gens".

Cet altruisme exalté, c’est un peu – et sans posture – sa raison d’être, auxiliaire de vie à domicile il y a encore deux ans. Elle cesse lorsque Warner, maison de disques qui n’a pas minimisé ses efforts à son encontre, lui alloue une avance au moment de la signature. "J’ai voulu faire médecine jusqu’à ce que le piano vienne changer mon existence. Il y a toujours eu ce grand désir de soin chez moi. J’aime l’humain et mon bonheur est souvent lié à celui de l’autre". Point commun qu’elle partage avec sa mère, institutrice, responsable de son amour pour les mots et de sa diction chantante absolument parfaite, proche d’une Pia Colombo.

Le père, le réputé plasticien Olivier de Sagazan, a lui déjà œuvré pour Mylène Farmer ou FKA Twigs. "N’importe quel psychologue vous dira que je suis exactement le milieu des deux. Mon père m’a notamment appris à ne me fixer aucune limite et à ne faire aucune concession". Zaho de Sagazan confie une passion adolescente pour le chanteur Tom Odell, cite L’écharpe de Maurice Fanon comme un bijou d’écriture, avoue plus communément aimer Brel et Barbara et plus étonnamment les BO de films d’horreur.

"Si j’étais restée bloquée à la chanson française, j’aurais perdu toute modernité. L’idée n’était pas de refaire quelque chose de déjà existant. Je ne pensais pas que j’irais aussi loin dans le clubbing. Là où, par contre, j’ai toujours su qu’il y aurait de la cold wave, de la synth-pop, un vrai rapport aux synthés modulaires et à la grosse basse".

Une démarche d'universalité considérée comme obligatoire

Retour à l’adolescence, période tourmentée pour elle, à la suite de l’arrêt d’une pratique intensive de la danse. Elle prend alors quinze kilos. "Je ne me suis plus reconnue et j’ai détesté visuellement qui j’étais". En chanson, ça s’appelle Mon corps, avec une économie de mots-émotions et une démarche d’universalité qu’elle considère comme obligatoire.

Même élan, d’ailleurs, lorsqu’elle s’attaque dans Les dormantes – l’une des merveilles du disque - au mécanisme reproductif de la manipulation et de la violence machiste. "Ma meilleure amie est sortie au lycée avec un mec d’apparence bien sur tout rapport et qui s’est révélé être une ordure. Quand elle l’a quitté au bout de trois ans, elle et moi étions tétanisées d’avoir pu laisser passer ça. J’avais une forme de culpabilité énorme. J’avais un besoin de comprendre et je comprends beaucoup en écrivant".

Les chansons de La symphonie des éclairs, concoctées après trois ans et demi de studio avec la doublette Pierre Cheguillaume et Alexis Delong (tous deux ex-membres du groupe Inüit), émergent comme des Venus d’un bain de chrome. Elles tirent leur essence d’un poème de Baudelaire pour basculer sur la crise climatique (La fontaine de sang), parlent d’addiction à la fumette sur le mode de la répétition (Aspiration) et d’hypersensibilité à l’image du titre éponyme.

Mais pas de trace sur la galette de Danser, formidable chanson de scène irriguée par son beat infectieux qui invite à glisser sur le dancefloor. "De la même manière que Le Dernier voyage, je n’ai pas réussi encore à lui donner ce petit truc en plus en studio".

Quant à la quête sentimentale, c’est l’autre grande affaire de l’album, bien qu’elle confesse n’avoir jamais vécu l’amour et être bisexuelle. "D’une part, j’ai beaucoup d’imagination même s’il ne se passe rien. D’autre part, j’ai l’impression de vivre l’amour tout le temps, car j’ai des grandes histoires d’amitié. On me parle de romantisme, mais si on va au fond des choses, on se rend compte, par exemple, avec Mon inconnu et Dis-le-moi que tu m’aimes (chansons respectivement sur le fantasme et le manque de confiance en soi, NDLR) que je n’ai pas connu l’amour". Ce qui ne l’empêche pas de vouloir un bien fou à l’humanité.

Zaho de Sagazan La symphonie des éclairs (Virgin Records) 2023

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