Johan Papaconstantino, l’hybridité à la grecque
Remarqué par son EP Contre-Jour ainsi que par sa reprise audacieuse des Mots bleus, le Franco-Grec de 31 ans pousse le curseur encore plus loin sur son album Premier degré où les textures électroniques entrent en collision avec la musique de ses racines et d’autres esthétiques. Il sera sans conteste demain l’une des attractions du Printemps de Bourges.
RFI Musique : Pourquoi n’avez-vous pas profité de la dynamique autour de votre EP Contre-jour, sorti en 2019, et attendu quatre ans pour écrire le chapitre suivant ?
Johan Papaconstantino : Je n’ai jamais cessé de travailler, je ne me la suis pas coulée douce (rires). Si on se penche sur mon EP, on se rend compte qu’il a été fait avec presque rien, même pas une carte son. Dans ma vie personnelle, j’ai eu un enfant et ça t’oblige à être un peu plus stable. Comme l’aspect technique de la musique m’intéresse, j’ai également suivi une formation d’ingénieur du son. Et puis je dois reconnaître que j’ai une sorte d’exigence avec moi-même. Ce disque, je l’ai conçu de A à Z, personne n’est intervenu hormis pour le mastering. Beaucoup de solitude, beaucoup de recherche. Tous les processus de la musique m’intéressent. Tout ça justifie le temps.
Est-ce qu’on doit en déduire aussi un véritable désir de tout contrôler ?
C’est juste une démarche qu’on pourrait qualifier de jusqu’au-boutiste. Quand je ressens une idée de musique, j’essaie de la toucher du doigt. Puisque je n’ai pas de références qui sont proches de ce que j’aimerais faire, je dois trouver le chemin par moi-même. J’ai conscience que ce que je propose, c’est un mélange très particulier.
D’abord aux platines pour des DJ sets, puis batteur-guitariste au sein du groupe La Tendre Émeute et maintenant homme à tout faire pour votre projet solo. C'est une trajectoire singulière, non ?
On va dire que je suis dans un réseau pop dans le sens large du terme et ça me plaît d’apporter une dimension insolite à chaque morceau. Mais même aujourd’hui, dans la musique dite commerciale, tout est axé sur les mélanges. Cela ne cesse d’évoluer dans ce sens-là. On m’a qualifié d’ovni, mais c’est un terme qu’on utilise un peu trop facilement dès que tu sors légèrement du cadre. Si on se réfère au sens créatif, c’est flatteur. Il n’empêche que je ne me sens pas en position de m’autodéclarer dans quoi que ce soit.
Vous avez sorti votre premier morceau Pourquoi tu cries ? en 2017 à la suite d’une rupture amoureuse. Salvateur finalement, le chagrin ?
Peut-être que cela m’a donné le courage d’oser. Chanter, ce n’était pas une destination programmée à la base. Je me considérais davantage comme un musicien, avec un penchant prononcé pour la production. La voix reste un des instruments qui me touche le plus. Une manière de transformer des sensations pas forcément agréables en force, ou du moins en quelque chose de plus radieux que la peine.
La pochette où l’on voit le ventre rond de la personne qui partage votre vie, un évènement heureux à venir donc, était-ce pour conjurer le sort de cette première chanson ?
Je n’avais pas spécialement fait le pont entre les deux, mais c’est troublant ce que vous me dites. Ce n’était pas une intention directe en tout cas. Dans la cover et le titre de Premier degré, il y a le côté personnel, mais aussi symbolique. Cela évoque à la fois l’accouchement du disque, le premier chapitre, la responsabilité, la paternité, les émotions. Et puis il s’agit d’un album de chansons d’amour principalement, une chose assez propre à la musique grecque. Tout ce qui tourne du sentiment amoureux, c’est à prendre au premier degré. On ne blague pas avec ça (rires).
Comment expliquez-vous que votre engagement artistique semble sans limites ?
Plusieurs répertoires s’entrechoquent, c’est certain. Je suis en phase avec eux puisqu’ils m’animent tous. J’aime le mariage des musiques méditerranéennes, de l’Europe de l’Est, du Moyen-Orient avec le funk, le r'n'b, la house…j’explore en même temps que j’essaie de me les réapproprier. Comme tous les gens de ma génération qui ont grandi avec Internet, on est amené à la curiosité et d’avoir un spectre d’écoute beaucoup plus large. Alors, je me permets tous ces écarts-là tout en essayant de rester attentif à ne pas tomber dans les clichés. Trouver un équilibre stable pour ne pas être dans l’orientalisme fantasmé et vue par un Français. Quand j’étais ado, j’avais un rapport très personnel avec le bouzouki (instrument grec à cordes pincées, NDLR) que je ne pouvais pas partager avec les gens de mon âge. Mes références au laïko (pop grecque, NDLR), ce sont les années 60-70 et je connais davantage la musique de la rue grecque, en l’occurrence le rebétiko, que Demis Roussos ou Nana Mouskouri. C’est cette approche-là que j’ai le plus cultivée. En France, on n’est pas très au fait de tout ça, car la musique grecque est mal exportée.
Vous avez également une renommée dans le domaine de la peinture. Cet art pourrait-il cohabiter sur scène ?
Au départ, mon quotidien se scindait en deux : la peinture la journée, la composition le soir. Là je ne vous cache pas que la musique a pris le dessus pour le moment. C’est compliqué de peindre pendant un concert (rires). Peut-être qu’un jour, on ouvrira une porte avec un dispositif particulier. On a une formule qui correspond actuellement à l’économie du projet.
Johan Papaconstantino Premier degré (Animal 63/Believe) 2023
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