Trois Cafés Gourmands : retour sur une improbable success story

Trois Cafés Gourmands. © David Darrault

En juin, Trois Cafés Gourmands a annoncé le départ de sa chanteuse. L’occasion de revenir sur leur folle épopée et de décrypter les raisons de leur succès, en compagnie du chanteur Jérémy Pauly.

Dans le monde de la variété, la nouvelle fait l’effet d’un petit séisme, d’une déflagration relayée par bon nombre de titres de la presse française : après dix ans, le groupe Trois Cafés Gourmands annonce sa séparation. Mylène Madrias, la chanteuse, affirme vouloir voguer vers d’autres horizons musicaux, en solo.

Après avoir pris le temps de "digérer la nouvelle", ses deux complices, Sébastien Gourseyrol et Jérémy Pauly se sont rappelé leur pacte initial, comme l’évoque ce dernier : "Dès le début de cette folle histoire, nous nous étions dits que si l’un de nous trois ne se sentait plus convaincu, ni complètement lui-même, au sein de cette aventure, nous ne lui mettrions pas de bâtons dans les roues. Voici venue l’heure de tenir nos promesses… "

Avant la dispersion effective des troupes, le trio assurera encore une quarantaine de dates : de quoi, en un ultime tour de piste, une dernière farandole, faire à nouveau guincher et s’époumoner les foules sur leur imparable "papaïapaïapapa" (avouez, vous aussi, vous l’avez dans la tête !), et hurler leur profession de foi le poing levé – "J’ai la Corrèze en cathéter !". De quoi aussi dresser le bilan d’une formidable et improbable success story : celle d’un "petit groupe local parti de rien, propulsé sur les plus belles scènes de France, des Francofolies à l’Olympia… "  Et celle d’une chanson, À nos souvenirs, qui atteint aujourd’hui le chiffre record de 260 millions de vues sur YouTube. Alors, quelle serait leur recette ? Tentative de décryptage…

Nés des comices agricoles

La graine germe à Arnac-Pompadour, bourgade de 1135 âmes, au cœur de ce qui s’impose, en toute objectivité (!), comme le plus beau département de France : la Corrèze. Trois jeunes adultes, la vingtaine, amis d’enfance, animent les comices agricoles et les marchés de pays estivaux, ces réunions de producteurs qui vendent leurs denrées aux voisins et touristes, venus se délecter des trésors de la ferme en plein champ.

Au menu, sur fond de barbecues géants et de bidoche limousine ? Des reprises de tubes de variété. D’emblée, Mylène, Jérémy et Sébastien acquièrent un léger succès d’estime, créent une page Facebook fabriquent des flyers, et commencent à composer leurs propres chansons… "En 2016, pour la première fois, dans le centre culturel de la Communauté de Commune, à Lubersac, nous avons réalisé un concert tissé à 100% de nos chansons originales", dit Jérémy.

Mais dès 2012, dans leur répertoire, une chanson caracole, sans conteste, en tête de peloton. "Papaïapaïapapa", vous vous souvenez ? Ce refrain qui colle à la peau et au cerveau… À nos souvenirs affirme sa singularité. Au fil des années, le succès enfle. Lentement mais sûrement. Jérémy explique : "Les gens se partageaient notre titre. On nous envoyait des reprises de partout en France. Et nous-mêmes avons commencé à franchir les frontières, direction la Haute-Vienne, la Dordogne, le Lot, puis l’ensemble du Sud-Ouest. Le jour où À nos souvenirs a atteint le million de vues, on s’est dit qu’il se passait un truc… spécial."

L’hymne d’un stade

Et puis, en 2016, le CAB, mythique club de rugby de Brive (Corrèze) détrône son hymne, Les Sardines, de son ex-dirigeant, Patrick Sébastien, pour entamer dans l’arène leur chanson. "Papaïapaïapapa" entonné à tue-tête par 20 000 personnes ? "Pfiou, gros choc d’adrénaline ! Surtout, quand toi-même, t’es au milieu du terrain !", s’émeut aujourd’hui encore Jérémy, fou furieux de ballon ovale. 

Alors, quel serait le secret de cette chanson que tout le monde s’arrache ? Selon de sérieux analystes qui étudièrent les ingrédients parfaits pour concocter un tube, il y aurait l’efficacité de son refrain, de sa mélodie, ses onomatopées, son rythme entraînant et joyeux… Et surtout sa familiarité, qui fait qu’à la première écoute, chacun connaît la chanson et peut se joindre à la meute : "papaïapaïapapa !" Comme un parfum d’évidence...

Enfin, il y a son thème. L’artiste raconte : "Je crois qu’au-delà de la Corrèze, cette chanson exprime nos attachements à nos endroits ressource. On peut aussi avoir la Bretagne, la Corse, ou le Pays basque en cathéter ! Nous avons tous en tête nos petits coins de campagne, qui nous rappellent nos grands-parents, nos étés avec les cousins… Et, au final, cette chanson nous a échappé ! Elle a été tellement reprise, parodiée, à des fins politiques, festives, caricaturales, qu’elle ne nous appartient plus…"

Snobisme parisien

Au début, le power trio enregistre son premier disque dans un petit studio de Brive. Et devant le raz de marée de ce refrain en P, tout s’accélère en 2018, juste après un concert au CCM John Lennon de Limoges, capitale du Limousin. Les voici parachutés à Paris, sur les bureaux du label national indépendant Play Two, celui de Zaz, de Grégoire et de Maître Gims. Et tout s’emballe.

Jérémy quitte son boulot d’ingénieur, Sébastien celui d’instituteur, Mylène peut désormais rêver aux sommets… "Au début, se souvient-il, on ne se rendait pas compte. Nous étions comme à bord d’un paquebot qui avance avec mille événements à la minute : premières signatures, premiers contrats… Rien qu’en 2019, nous avons assuré 60 concerts, une foule de plateaux télé, radio. Nous avions peur de ne pas comprendre les codes, de commettre des bourdes ! Le confinement de 2020 nous a permis de prendre du recul… Ouf !"

Dès ces débuts, pourtant, le groupe souffre d’un certain mépris du monde parisien, du moins d’une incompréhension : "Notre succès dépassait certains producteurs parisiens. Nous sommes un groupe né du terrain, poussé par cette Province qu’ils ne comprennent pas vraiment…" Et puis, comme l’analysait le psychologue de la musique Daniel Mullensiefen, impliqué dans une étude scientifique sur les tubes, menée par des chercheurs de la Goldsmiths University of London : "L’élixir insaisissable pour la parfaite chanson entraînante repose sur une combinaison particulière de neurosciences, de mathématiques et de psychologie cognitive" Humm… Tout ça dans un "Papapaïapapa" ? 

Leur schisme signerait-il la disparition d’un groupe étendard des zones rurales, emblématique de cette France des ronds-points ? "Tout doux ! rétorque le chanteur. Nous ne sommes les porte-drapeaux de rien du tout. Nous avons juste la prétention de faire de la musique populaire, sans nuances péjoratives, dans laquelle une majorité de Français semble se reconnaître. Point."

À l’heure du départ de Mylène, l’avenir reste encore à écrire. Et peut-être qu’il s’inventera à nouveau au cœur des petites salles, en tout cas sur le terrain, avec les valeurs qu’ils véhiculent : partage, joie, gourmandise… Tant qu’il y aura des petits coins de campagne et des "Papapaïapapa !"

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