Voyou, chanteur irrépréhensible
En prise avec le monde réel malgré un goût prononcé pour la fantaisie métaphorique, l’auteur-compositeur-interprète de 34 ans a envoyé une onde chaude et rassurante avec Les royaumes minuscules. Un deuxième album que le comité d’artistes du prix Joséphine a considéré comme l’un des dix meilleurs de l’année.
Dans un monde de la musique parfaitement ordonné par la suprématie electro-pop et urbaine, Voyou fait figure de trouble. En totale liberté, il ouvre une autre voie qui trace un fil suspendu entre noirceur et humour, bourrasques universelles et réalisme détourné, mélodies avenantes et arrangements à la chaleur langoureuse. De la race des conteurs, une espèce aussi rare que précieuse. "J’aime bien ce rôle. Raconter des histoires à mes amis et aux gens de ma famille, c’est une appétence que j’aie dès mon plus jeune âge".
Grand gaillard au capital sympathie criant, naturellement curieux (des écoutes musicales en forme de melting-pot), les pieds sur terre mais les aspirations rêveuses, Thibaud Vanhooland semble laisser exploser sa joie d’être chanteur et jouit de toutes les sensations que la fonction lui procure. Tout semble insolemment limpide chez ce multi-instrumentiste vorace : en plus de la trompette sous la houlette du père puis au Conservatoire à Lille, il aura appris la guitare, la basse, la batterie, le piano… Un précoce qui jouait à l’âge de six ans des classiques du jazz sur la place du village d’une commune de Charente-Maritime, venu tardivement en première ligne après un long détour en tant que bassiste pour des groupes nantais comme Elephanz, Pegase ou Rhum for Pauline.
L’esprit "live band" sur scène
Sa soif de volupté, amorcée en 2019 avec le disque Les bruits des villes, il l’a décuplée quatre ans plus tard en s’appuyant sur l’exotisme explorateur de son mini-album intermédiaire et instrumental (Chroniques terrestres). "Il a eu un impact sur la recherche des textures de sonorités. Outre le fait de m’essayer à encore d’autres instruments, cela m’a permis de penser la musique différemment, de remplacer des éléments synthétiques - parce qu’auparavant je ne savais pas faire autrement – par des éléments organiques".
Prolongation de ce travail d’affinage et d’ouverture sur scène où la générosité abonde dans l’esprit "live band" des années 1970. "Tout le monde s’empare d’instruments différents. C’est quelque chose qui ne se fait plus trop parce que je trouve que la tendance du concert aujourd’hui est de se reposer vachement sur la musique électronique, d’aller vers la facilité".
Sentiments humains
Si le premier album brassait dans ses chansons des humeurs inconfortables face aux aspects dérangeants de la grande ville, Les royaumes minuscules réclament d’une certaine manière des envies d’évasion. Une suite logique à sa propre trajectoire. "J’ai grandi à Lille et Nantes qui sont des villes à taille humaine. Ce qui n’est pas le cas de Paris. Une fois que tu y as passé du temps, tu vois les limites mentales et physiques. Les gens sont très axés sur leur ego là-bas, ils ont une volonté de se hisser socialement, de traîner avec les bonnes personnes. Sortir de ça et te retrouver plongé dans la nature où tout le monde se fout de ton existence, ça a quelque chose de très agréable et reposant pour l’esprit".
Les sentiments humains, qui irriguent presque l’essentiel des morceaux, passent ici par le prisme métaphorique de la faune et de la flore végétale. "Un peu à la manière de Jean de La Fontaine qui se référait aux animaux pour évoquer les caractères humains parce que sinon ça en serait presque insultant. Utiliser l’animal et le végétal, c’est une bonne manière de dédramatiser". Autobiographique ? "Cela ne l’est jamais complètement, je ne pense pas être plus intéressant que les autres". Cathartique ? "Une fois les chansons terminées et en réécoutant, j’étais obligé de m’avouer que j’étais en train d’essayer de me dire quelque chose". Comme de prendre de la distance avec Paris, ville qu’il ne souhaite plus habiter qu’à mi-temps.
Voyou, dont la pochette d’album ressemble à une boîte ancienne de jeu de société, laboure le terrain d’une pop légèrement rétro et d’une poésie chaloupée, lucide, altruiste. Du féérique, du groove, de la collusion entre chanson et bossa nova (Soleil Soleil, en duo avec l’irrésistible November Ultra), des chœurs féminins, des percussions enregistrées à Sao Paulo, de la mélancolie douce. Presque une évidence qu’il fasse partie des dix meilleurs albums français de l’année, selon le jury d’artistes du prix Joséphine (la finale se tiendra le 27 septembre). "Ce n’est pas connecté à des majors qui font leur petit marché. Quand j’avais fini cet album, j’ai dit à mon équipe de production que j’espérais être sélectionné au prix Joséphine. Les Victoires de la musique, c’est une visibilité médiatique. Là, on est davantage dans l’artistique". Rarement on a connu un Voyou aussi fréquentable.
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Voyou, Les royaumes minuscules (Entreprise Musique) 2023