Les joyeuses interrogations de Témé Tan

Le chanteur Témé Tan. © Kénia Raphaël

À l’aise entre différents styles et cultures, le musicien belge afrodescendant joue une partition singulière, loin des conventions de la variété, mais toujours en quête de mélodies pop. Rencontre avec Témé Tan, à l’occasion de la sortie de son second album, Quand il est seul.

RFI Musique : "J’mets pas ma vie sur les réseaux" ou "J’traque pas le million", chantez-vous. Est-il possible d’exister sans les réseaux sociaux ou les plateformes de streaming ? 
Témé Tan : Ma maison de disques ne cesse de me dire que je dois davantage poster sur Instagram. Mes pairs me disent la même chose. Le monde de la musique est très compétitif. Je ne sais pas s’il est possible d’exister sans les réseaux, j’aimerais beaucoup ! Mais j’ai aussi envie que ma musique soit entendue et que des gens viennent à mes concerts. Je ne suis pas sûr que beaucoup de personnes s’abonnent à la page Spotify d’un artiste ou aux alertes concerts de Songkick. Pour la plupart, la musique est découverte dans une publicité, au supermarché ou sur le Net.  

En 2019, qu’êtes-vous allé faire au Mali ? 
J’avais tourné en première partie des concerts de Fatoumata Diawara en Grande-Bretagne fin 2018. Je m’étais bien entendu avec toute son équipe et elle m’a invité à jouer à Bamako. Je n’allais pas faire un aller-retour pour un seul concert. Son bassiste de l'époque, Sékou Bah, m'a invité à séjourner dans son studio à Kanadjiguila. J’y suis resté un mois. J’étais un peu K.O. après trois ans d’une tournée qui m’a mené d’Europe en Afrique, en passant par le Québec et le Japon. Le titre Un Grand plat de riz évoque cet accueil au Mali, chez Sékou, et par bien d’autres personnes. Je me suis comme réfugié au Mali, les statuts avaient changé. Je voulais évoquer cet accueil. Mais aussi parler de moi, l’Afropéen, qui vient d’Europe où l’on parle sans cesse d’immigration, côté problèmes plus que bienfaits.  

Êtes-vous parfois assigné à un rôle en tant qu’Afropéen ? 
Clairement. Un journaliste belge me disait qu’il était difficile de comprendre mes origines, car elles ne se voyaient pas. À quoi devrais-je ressembler ? Je n’ai pas envie que l’on ne parle que de ça, car j’ai grandi majoritairement en Europe, je suis arrivé à l’âge de 6 ans du Congo en Belgique avec ma mère, congolaise. Ma culture est ancrée sur les deux continents, je suis afrodescendant. Lors de ma première tournée, on m’avait suggéré de porter du wax sur scène. J’adore en mettre ! Mais j’en mets quand j’en ai envie, je ne veux pas me sentir obligé de porter du wax sur scène. Je me souviens d’un programmateur de festival qui avait préféré indiquer République démocratique du Congo plutôt que Belgique à côté de mon nom, certainement parce que cela semblait plus attrayant, plus exotique. Les gens s’attendent alors à de la rumba congolaise ! On tente parfois de me cantonner à un rôle. Si je me coupe les cheveux, c’est le choc, car cela est censé me relier à l’Afrique. 

Quels sont les souvenirs musicaux de votre enfance ? 
J’ai des souvenirs de mes six premières années là-bas et des voyages pour aller y voir mon père, belge. Il y avait une grande nostalgie après que je suis arrivé en Belgique avec ma mère et mes oncles. Je me souviens des chansons de Papa Wemba pour le film La Vie est belle, ou de mon père qui jouait les Beatles sur un piano un peu désaccordé. On écoutait beaucoup de rumba congolaise et de zouk lors des réunions de famille. Ma mère chantait beaucoup, elle avait une guitare, dont j’ai hérité… 

Témé Tan, d’où vient ce nom ? 
Tan était mon diminutif à Grenade, en Espagne —Tanguy, Tan— lorsque j’y suivais des études via Erasmus. Et Témé veut dire en japonais la main et l’œil, un surnom donné par une de mes meilleures amies qui m’a ensuite invité au Japon, pays qui, par sa culture manga, a toujours fait partie de mon imaginaire. Musicalement, des disques de groupes nippons comme Pizzicato Five, Cibo Matto ou Cornelius m’ont beaucoup inspiré.  

 

La pandémie de Covid a-t-elle influencé cet album ? 
J’ai passé le premier confinement à Bruxelles, le second à la campagne où ma compagne et moi avions décidé de déménager. Depuis des années, je faisais de la musique tout bas dans de petits appartements pour ne pas déranger les voisins. J’ai construit mon studio en terre-paille et ossature de bois. J’y ai terminé l’enregistrement de cet album conçu entre Montréal, Bamako et Paris, avec beaucoup de collaborations [Pierre Kwenders, Elisapie, Frànçois Marry …]. Sur ce second disque, je me suis permis de prendre plus de volume, quelques cris ici et là. La campagne m’a aussi permis de me déconnecter des avis des uns et des autres. 

Témé Tan Quand il est seul (Pias) 2023. 

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