Beyries, océan de grâce

Beyries, 2024. © Gaelle Leroyer

Sur son troisième album, Du feu dans les lilas, la chanteuse québécoise quadragénaire déploie en français une pop-folk dont l’intensité n’a d’égale que la douceur. Des chansons sensorielles, profondes, atmosphériques qui chassent le désordre et donnent du réconfort. L'une d'entre elles, Du temps, est le dernier Coup de cœur des Médias Francophones Publics.

Dans Du feu dans les lilas perce une intimité intranquille, une voix souveraine pleine de failles enveloppantes. C’est un disque aux joliesses musicales et aux mélodies foisonnantes, sans étouffement, parfait équilibre de classicisme éprouvé et de propositions individuelles, et dont le titre tire son contraste entre "l’éphémère, la beauté et la douceur".

C’est aussi un disque de première fois. Première fois que Beyries enferme sur toute la longueur son univers de raffinement dans les filets de la langue française. "Il y en avait toujours une sur mes deux précédents albums et elle suscitait de l’intérêt. On m’en parlait même quand j’allais aux États-Unis ou dans le Canada anglophone. J’ai pris ça comme une forme de défi. Avec les confinements, on a beaucoup souffert du manque de connexion et j’ai senti le besoin d’aller plus loin aussi bien au niveau de l’interprétation que de la proximité avec les gens".

Elle se fie à la fois à sa réaction physique au moment de la réception d’un texte et sa confiance décuplée en Maxime Le Flaguais, son ami de toujours, comédien-auteur à la plume affûtée. "On collabore de façon très rapprochée. Beaucoup de discussions dans le choix de mots. Cela m’aide énormément qu’il me connaisse par cœur", précise celle qui avait aussi publié une chanson isolée au printemps dernier, écrite par Doriand (Seule sans toi).

Plusieurs vies

Arrivée tardivement sur le devant de la scène - il y a sept ans à l’âge de 38 ans - Beyries a vécu plusieurs vies professionnelles : dans la restauration, dans les relations publiques en biotechnologie, dans la mode et surtout en tant que gestionnaire pour une entreprise d’effets visuels cinématographiques. "J’ai toujours entretenu un lien affectif et émotionnel avec la musique. Le piano quand j’étais enfant, la guitare à l’adolescence. Fréquemment, on me disait que j’avais du potentiel au niveau de la composition. Mais il y a une différence entre faire de la musique pour soi et faire une carrière".

Au moment du début de la traversée de sa trentaine, elle surmonte un cancer du sein ainsi que sa récidive. Quitte son loft du Vieux-Montréal pour une maison de campagne dans laquelle elle emmène le piano demi-queue de sa grand-mère. Là-bas, Amélie Beyries y compose Soldier, morceau qui rencontre le succès à travers sa diffusion pour une campagne de prévention du cancer du sein.

Puis elle retrouve son activité dans le cinéma, mais refuse de jouer les prolongations. "Probablement que je ne me serais jamais lancée sans cet arrêt dans ma vie. Après mes traitements, je n’arrivais plus à trouver du plaisir dans mon travail. Attendre jusqu’à minuit un appel d’un producteur de Los Angeles n’avait plus de sens. Jouer de la musique était devenu, en revanche, une nécessité. Comme mon existence avait basculé, j’étais plongée dans une autre dimension. Cela peut paraître ésotérique, mais c’est exactement ce qui s’est passé".

Question de temps

Jouissant d’un excellent accueil pour chacun de ses projets du côté de la Belle-Province, au point même d’assurer l’ouverture du réputé Festival international de jazz de Montréal en 2021 (mise en scène de Pierre Lapointe, chanteur dont elle est très proche), Beyries s’est pourtant interrogée en amont de ce disque sur la nécessité de poursuivre.

"Très sincèrement, je me pose encore la question (l’album s’est hissé en tête des ventes d’albums francophones au Canada dès la semaine de sa sortie, ndlr).  On est dans un monde qui va vite, qui réclame d’être toujours présent et performant. Cela va à l’encontre du travail d’un artiste. C’est-à-dire s’arrêter, réfléchir, se projeter. Le rapport aux réseaux sociaux a changé beaucoup de choses. Si j’aime le contact direct avec les gens, parler à une caméra me demande beaucoup d’énergie et ne me met pas vraiment à l’aise. Je préfèrerais faire des concerts tous les deux, trois jours plutôt qu’être au service de choses qui doivent rentrer dans des algorithmes".

Écouter ses chansons au caractère clair-obscur et décadenassées de l’absence d’un cahier des charges reste le meilleur refuge. Il n’y a rien de forcé ni de spectaculaire chez elle. Juste une élégance et une limpidité permanentes. Qu’elle sème des balises en compagnie d’Albin de la Simone (Derrière le jour), qu’elle glisse une chanson d’éternité (Du temps) ou qu’elle laisse la mort rôder (Le phare), Beyries n’en finit pas de faire vaciller les cœurs de pierre.

Beyries Du feu dans les lilas (Audiogram) 2024

En concert à Paris aux trois Baudets le 3 avril 2024

 

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