Arthur H

L’enfant terrible d’une génération de fous furieux de la poésie (Gainsbourg, Brigitte Fontaine, Jacques H...) revient avec un album qu’il dédie à la simplicité et à l’onirisme d’une époque torturée par ses paradoxes. Arthur H avoue n’avoir pas de chaîne hi-fi chez lui, mais chante les déboires des surfeurs sur le net.

A l’époque de la techno et du matériel de studio high–tech, il s’exile dans les douves d’un château médiéval avec un orgue Hammond déglingué en guise de compagnon. Un sourire indéfectible au coin des lèvres, il marmonne sur un ton triste des chansons gaies qui nous ravissent. Entrevue.

Cet album a été enregistré à Montéton dans un château. Ou se trouve exactement Montéton ?
(Arthur H se marre) Où est mon téton ?! C’est dans le sud-ouest de la France, près de Marmande. Il s’agit d’une ombre de château. Ce n’est pas celui de "La Belle au bois dormant". Il n’y a pas très longtemps, les arbres poussaient encore à l’intérieur de l’enceinte. C’est une ruine qui a été retapée, j’ai trouvé qu’il y avait une atmosphère chaleureuse et comme j’en avais marre de l’ambiance high-tech, "Star Trek" des studios d’enregistrement...
Je me suis demandé au début si ce cadre aurait un impact sur ma façon de jouer, sur ma musique. Et effectivement, ça influence ta musique, ta manière d’être, d’écouter. Quand tu as des buses qui tournent autour du château toute la journée, des charpentes en chêne qui craquent le soir, ça influence ta manière de percevoir les choses, de les écouter.

Cela a dû également influencer vos improvisations et la conception générale de l’album...
L’idée était de faire un disque beaucoup plus émotionnel et beaucoup plus simple musicalement que Trouble-Fête. Un de mes buts est de travailler un sens de la rythmique, de la pulsion, très répétitive. Chose que l’on retrouve dans la musique africaine ou dans la techno. Je voulais quelque chose de pulsionnel qui te met dans un drôle d’état avec des pulsations différentes. Et au-dessus, par contre, garder la mélodie européenne portée par le souffle sentimental et émotionnel. Garder ces deux aspects dans ma musique me paraissent très importants.

Même si cet album est plus "simple" que Trouble-fête, on y retrouve toujours votre image de monsieur loyal un tantinet siphonné, de doux dingue… Cette image qu’a le public de vous, vous convient-elle ?
Je ne crois pas avoir spécialement une image. Et en fait, ça ne me gêne pas parce que je ne sais pas vraiment quelle image je donne aux autres. Oui, j’ai une certaine loufoquerie. Ce n’est pas non plus mon fond de commerce, la loufoquerie…
Moi, j’ai toujours aimé Fellini et les spectacles où le rideau rouge s’ouvre et apparaît : la magie... une part de mystère. Il y aura toujours chez moi, un côté tentative d’ensorcellement de ce pauvre public... (rires)

Et Lhasa qui chante sur Indiana Lullaby comment l’avez-vous ensorcelée ?
J’avais vraiment envie de jouer avec elle, c’est quelqu’un que j’aime beaucoup. Et sur cette chanson qui parle d’une femme qui a très chaud, qui délire, fiévreuse et joyeuse alors qu’il y a un terrible ouragan à l’extérieur, j’ai immédiatement pensé à elle.
Dans un livre de comptines russes que j’ai lu il y a très longtemps, il y avait cette idée : "Dors mon bébé, dors, le vent souffle mais ici il fait bon". C’est quelque chose de très protecteur et en même temps, de très tourmenté. C’était une image forte et au début, je voulais l’écrire pour mes deux petites filles. Je trouvais sympa de leur écrire cette sorte de berceuse et puis j’ai changé d’idée pour quelque chose de beaucoup plus vaste qui interpellerait aussi des amants ou même une vieille femme. Lhasa a eu beaucoup de mal à écrire des paroles en espagnol sur cette chanson. Aussi, elle a repris les paroles d’un vieux tango mexicain.

On vous savait déjà grand fan de BD avec le Bachibouzouk Band... Ça se confirme avec la chanson des Pieds nickelés...
J’étais un grand fan de BD quand j’étais enfant mais plus du tout maintenant. A l’époque, c’était surtout pour le côté pop-art... De plus, je trouve qu’il y a un côté très actuel de débrouillardise dans l’adversité chez les Pieds Nickelés. La croissance repart, les entreprises n’ont jamais fait autant de bénéfices. Et en même temps, je trouve que les conditions de vie n’ont jamais été aussi dures. Il y a plein de gens qui vivent dans la précarité et qui survivent en faisant des petits boulots. C’est la majorité de gens que je connais. On le sait, on le lit dans le journal mais c’est une réalité : les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres.
Le système n’a jamais été aussi fort pour tout amollir et tout noyer sous une douce langue de bois. La clé du bonheur réside dans une courbe de croissance économique. Moi je préfère d’autres sortes de courbes plus voluptueuses. Le sens des Pieds nickelés, c’est de dire pour la génération de mon âge : "On est dans la merde c’est vrai, mais cela ne nous empêche pas de tracer notre chemin dans la joie même si c’est vraiment difficile."

Vous avez fait trois tournées sur le continent africain dans les alliances françaises. Quel souvenir en gardez-vous ?
Des images poétiques complètement dingues. Des flashs musicaux vraiment insensés avec des musiciens pas forcément connus mais qui jouaient comme cela au coin d’une rue. A Lagos, les chauffeurs de taxis qui décompressent, jouent ensemble avec des petites percussions toute la nuit. Ce qui me touche et ce que je cherche dans la musique, c’est une énergie émotionnelle et j’en suis loin encore. J’aimerais pouvoir partir à Bali, Java, pour retrouver dans d’autres coins du monde cette intensité émotionnelle.

Qu’est ce qui vous agace dans la musique aujourd’hui ?
Je n’apprécie pas les musiques qui agressent, les musiques qui, sous prétexte d’être modernes, te vrillent le crâne. Je ne parlerai pas d’un style particulier parce qu’il y a des choses magnifiques dans tous les genres : techno, rap ou rock. Mais il y a une sorte d’exaspération nerveuse que je trouve un peu malsaine.

Qu’est ce qui vous réjouit musicalement ?
C’est très difficile d’avoir du recul sur son époque, mais je trouve qu’il y a beaucoup d’inventivité avec un éventail très large et en même temps je trouve dommage que certaines d’entre elles soient réduites à un auditoire un peu confidentiel. Il y a une production insensée. Donc forcément, il y a beaucoup de choses à jeter et d’autres à conserver. Le problème de notre époque, c’est la consommation à outrance. On est noyé sous une pile de choses, une montagne de disques, de livres et c'est dur de prendre quelque chose, de l’apprécier tranquillement, de les comprendre c’est pour cela que je reviens à des choses classiques. J’écoute peu de musique : Debussy, Stravinsky...

Et vous, après dix ans de carrière, vous vous réécoutez ?
Je suis toujours allé de l’avant... Sans me retourner... J’ai réécouté mes vieilles chansons pour un Best of qui n’est sorti qu’au Japon et là, j’ai pris très peu de morceaux parce que selon moi, il y en avait assez peu qui tenaient la route. J’ai toujours une espèce de brûlure qui me pousse à aller de l’avant et à trouver une musique qui soit très simple et en même temps universelle et vraiment originale.

Si le H d’Arthur jouait avec la paternité de Jacques Higelin et visait en même temps à marquer une distance entre sa carrière et la votre, ne pourrait-on imaginer de vous retrouver maintenant sur le même disque ou sur la même scène ?
(amusé) C’est délicat parce qu’on est très différent. Lui est assez "solaire", moi j’étais assez "lunaire". Maintenant moi je me "solarifie" et lui peut-être se "lunifie". (rires) A Tokyo, j’avais fais la première partie d’un de ses concerts. Moi je ne suis pas opposé à cette idée. Ce serait marrant. Mais en fait, on laisse la vie décider pour nous.

Arthur H / Pour Madame X (Polydor/Universal) 2000