Arthur H
Enregistré chez lui, à Montmartre, dans les conditions du live, avec ses fidèles camarades Brad Scott (contrebasse), Nicolas Repac (guitare) et Laurent Robin (batterie), le nouvel album d'Arthur H, ce Négresse blanche éblouissant, aux si furieux métissages, n’a pas fini de nous en faire voir de toutes les couleurs.
Seize chansons c’est costaud !
Oui, c’est un album qui fait une heure. J’ai pensé à le raccourcir, mais en même temps je me suis dit: "Si c‘est riche tant mieux, autant pas être radin et y aller à fond pour balancer plein d’histoires!" C’est un album varié. Avec beaucoup de mots. J’essaie de faire attention aux mots, de bien les enrober, bien les mettre en valeur pour bien les faire vibrer, de plus en plus je me concentre là-dessus. J’ai eu énormément de plaisir à faire ce disque. C’était le premier disque ou vraiment je n’ai pas stressé, j’étais content d‘être avec mes amis, d’être chez moi, d’avoir la chance de faire de la musique. J’avais envie de me dépasser, sans me plaindre ni me restreindre.
L'album s’ouvre sur Marilyn Kaddish, drôle d’association d’idées ?
C’est la prière des morts, c’est une prière à l’esprit de Marilyn. Elle n'était pas feuj (juive en verlan, ndlr) mais elle aurait pu, peut-être dans une vie antérieure. C’est comme moi, je suis juif d’une certaine manière, car on est tous un peu juifs. J’aime beaucoup la littérature hassidique. Cela me touche beaucoup, j’en lis pas mal. Cela me parle très naturellement car depuis longtemps j’ai baigné dans la culture juive. Et puis, Marilyn Kaddish, c’est un peu du pop art, comme de mélanger deux univers différents. Cela ne me gêne pas d’associer un terme spirituel à son esprit, car c’était un esprit lumineux. Marilyn Monroe avait ce côté angélique qui irradiait vraiment une énergie très pure.
On continue dans votre galerie de portraits avec Nancy et Tarzan. Est-ce Nancy et Ronald Reagan ?
Bien deviné! C’est une chansonnette, j’avais envie d’écrire une chanson légère, un peu classique, sans prétention, printanière, un peu fête foraine, un peu ritournelle. Avec un texte rigolo. Cette chanson est aussi autobiographique : le mec a une grande gueule, mais dès qu’il se passe quelque chose de sérieux, il préfère s’en aller en douceur sans blesser personne. C’est un peu le sujet de la chanson. Et cela m’est arrivé. C’est un passage obligé, on écrit sur sa vie. Moi je ne suis pas spécialiste des chroniques sociales, j’écris sur les sentiments, les émotions, donc forcément je parle beaucoup de ce que je ressens personnellement.
Vous n’êtes jamais totalement heureux ?
Cela s’appelle la mélancolie, mais elle peut être joyeuse. Triste je le suis rarement, quand même, je suis plutôt assez heureux mais quand je suis heureux c’est assez solitaire, je suis heureux d’être là, je regarde un arbre, je regarde la vie passer ou je me marre avec mes deux filles.
Retour à Paris avec City Of Light et la rencontre du talk over de Gainsbourg avec des séquences planantes à la Björk: encore un sacré mélange de H !
Un type dans un avion est en train de rêver à la femme qu’il aime. Il y a beaucoup de distance dans cette chanson. Déjà par rapport au sol puisqu’il domine complètement la ville. Il y a l’air, il y a le ciel, il y a la ville et puis cette distance avec cette femme qu’il vient de quitter. Il rêve encore et en même temps elle est dans sa tête. Puis son cerveau devient aussi un espace immense, c’est très aéré, c’est l’espace du rêve, cela fait du bien je pense.
Vous aimez échapper ainsi à l’attraction terrestre ?
Oui j’aime bien prendre du champ. On n’est pas condamné à une vie étroite, on a le droit d’avoir des ailes, on le droit d’imaginer des espaces beaucoup plus vastes, on a le droit de se fondre dans l’univers
Musicalement, City Of Light a ce côté techno très répétitif...
C’est simple, j’ai acheté un petit synthé pourri à 1000 balles, j’ai appuyé sur la commande "rythme techno" et la chanson est née de cela. Après Nicolas a fait des couleurs, des arrangements dessus pour varier les plaisirs, mais c’est un rythme de base. Et puis c’est vrai que c’est rare de mélanger cet univers avec ce qui est quasiment un poème. Généralement ce sont deux univers qui ne se rencontrent jamais, avec d’un côté la techno et de l’autre Léo Ferré; c’est dommage de ne pas mélanger ces deux univers-là.
En tous cas City of Light semble étrangement avoir été taillée pour la danse ?
Oui, il y en a deux ou trois qui s’y prêtent. Mon rêve c’est toujours que les gens dans les fêtes chez eux mettent le disque et dansent dessus. Passer dans les clubs, moi je m’en fous un peu.
Après Marilyn, vous avez dédié une ode à Bo Derek ?
Je ne sais pas pourquoi j’ai eu cette vision d’une vieille star dans sa villa abandonnée par son amant... Je trouvais cela poétique.
Serge Gainsbourg avait chanté Beau… oui, comme Bowie. Vous, vous avez fait C’est beau, comme Bo Derek ?
Il y a une influence Gainsbourg évidente que je ne nie pas. Elle est un peu partagée par beaucoup de gens aujourd’hui, c’est une espèce d’émanation naturelle dans laquelle on baigne. Elle fait partie de nous. C’est vrai qu’il a fondé une identité assez française, un son,un vrai mélange de modernité et de poésie. Moi j’aime à explorer cette voie qui a été défrichée par Gainsbourg, c’est aussi ma route.
Négresse Blanche, qui offre son titre à l’album déborde de ce surréalisme à la Paul Eluard comme "la Terre est bleue comme une orange" ?
Je reste un peu imprégné de surréalisme, mais celui-ci est aussi devenu si naturel qu’on n’a pas à y penser, c’est digéré. On n’est pas surréaliste pour être surréaliste. Moi dans ma vie, je l’ai toujours été un peu naturellement. Ce n’est pas du surréalisme chimique, c’est du surréalisme biologique, organique.
Raïssa, ne s’agit-il pas de Madame Gorbatchev ?
Là non, c’est une chanson que j’avais écrite pour une fanfare sicilienne avec laquelle je joue régulièrement en Italie. Ce sont 40 cuivres siciliens qui font à la fois le répertoire religieux populaire traditionnel et en même temps qui s’ouvre à des compositions. Ils m’avaient demandé d’écrire un texte sur une de leurs musiques, alors je suis allé jouer à l’Opéra de Milan, à Florence avec eux et à chaque fois je me prends un pied vraiment unique. C’est sorti sur un disque, la Banda Ionica. J’aime les musiques qui font voyager, qui t’emmènent à un endroit ou tu ne t’attendais pas aller.
Arthur H Négresse blanche (Polydor) 2003