Les nouveaux venus, Anis & Da Silva
Anis et Da Silva sont deux trentenaires qui débarquent dans la famille de la chanson française avec leur personnalité franche et charismatique. Les deux artistes ont eu des parcours musicaux étonnants jusqu’ici. Pour ces deux français aux origines et aux goûts musicaux variés, le galop d’essai pourrait avoir l’air d’une chevauchée couronnée de succès.
La Chance..., le premier album d’Anis est un beau mélange de blues, de jazz manouche et de hip hop. Son univers est plutôt urbain. Avant de s’installer à Paris, le jeune "gadjo" avait pris part au collectif K2R Riddim dans sa ville de Cergy. L’univers urbain est aussi présent chez Da Silva, dernière signature du label Tôt ou Tard. Da Silva a un passé punk, indus et il réalise avec Décembre en été un premier album plein d’émotions crachées, de sensualité rêche, de sentiments cachés et racontés tout en nuances. A peine trentenaires, Da Silva et Anis arrivent à un carrefour de leur déjà conséquent parcours musical.
L’indécision, premier single d’Emmanuel Da Silva, ancien "Tambour du Bronx", nous permet d’inspecter les tréfonds de la vie sentimentale du chanteur. Dans les textes de Da Silva, on trouve beaucoup d’amour, des déchirures aussi. "J’ai pris des bonnes gamelles. Elles sont racontées dans les chansons, mais attention, je ne fais pas partie de ceux qui étalent ça. Je préfère dissimuler." Dans chaque recoin de l’album, pourtant on n’est pas loin du chaos sentimental. Da Silva chronique avec tact les recommencements, les souvenirs d’été, où la beauté du corps dissimulerait la dureté du coeur d’une dulcinée. "Le couple est la première cellule de la société..." et la société dans laquelle vit Da Silva ne donne toujours pas envie de s’accoupler. Anis, quant à lui, chante l’amour avec plus de légèreté, quoique. Thelma et Louise ou Intégration, rappellent que souffrir à deux, c’est toujours mieux que tout seul. Au moins, on peut discuter.
Heureux qui comme Anis a fait un beau voyage, Anis "met d’là joie" dans le texte et de la poésie dans ses émotions, avec force rimes faciles et fleuries. Mais il n’est pas facile de parler de ses chansons au goût parfois amer. Quand il regarde dans le rétro, la nouvelle signature française de la multinationale Virgin préfère parler de son petit parcours qui prend petit à petit son envol que de raconter de quoi sont faites ses chansons. "C’est un métier que j’aime, je voulais juste arriver là où je suis, avec un contrat d’édition. Pourtant j’ai mis un peu de temps à me motiver. Des copains de Cergy me secouaient pour me dire : mais vas-y, qu’est-ce que t’attends ! Alors ça y est !" Anis habite Paris depuis quelques années et reste très motivé à l’idée d’être connu du grand public. "Je m’interroge sur ce métier dans Mon métro. Je me demande quelle direction prendre pour le développement d’une carrière." Da Silva préfère interroger ses fans, "grâce à mon blog, je raconte mes journées en tournée. Je donne des indications sur les concerts du soir, résume dans de courts comptes-rendus ce qu’est la vie de tournée", des émotions de la veille à la découverte de l’hôtel pourri où le groupe échoue.
Da Silva croque les concerts comme on avale les cols dans une étape montagneuse du Tour de France. Il est impatient, instable, un sujet idéal pour la "rock n’roll way of life" : il faut toujours que je sois en mouvement, même les jours de repos, je fais de la musique. Je ne reste jamais oisif." Anis a en revanche cette indolence en lui. Il la revendique sur Oisif, une chanson bien sentie "dans ce monde où tout est productif ". Le choix du blues pour raconter cette insouciance va de soi : "j’ai toujours adoré les bluesmen purs et durs, je suis attiré par des maîtres du boogie comme John Lee Hooker ou par les grandes voix comme Billie Holiday."
Anis oublie de dire qu’il est aussi très fortement inspiré par les voix de ces artistes, par le rythme du reggae jamaïcain et plus généralement de la musique américaine, qu’elle soit afro, latino ou country. Pourtant le Cergynois pourrait aussi montrer qu’il possède des influences russes et marocaines, du fait de l’origine de ses parents. Mais non, pour le moment, il est plus (Johnny) Cash que (Farid) El-Atrache, plus hip hop que Rostropovitch. Chez Da Silva, le métissage s’effectue par petites touches nostalgiques. Alors que ses parents écoutaient de la "mauvaise variété portugaise", lui, préférait "puiser dans le répertoire du fado." "J’en ai beaucoup écouté et ça se retrouve dans ce choix de jouer en acoustique avec des arpèges de mandolines ou de mélodica", et Da Silva se lève pour mimer que sur scène ces mêmes instruments mettent en valeur autrement les chansons de l’album. Comme Anis, il invite ses interlocuteurs à aller à ses concerts. Ils en donnent l'envie et c’est sûr, il ne s’agit pas dans leur cas d’un vulgaire service après vente.
Anis La Chance... (Virgin Music-EMI) 2005
Da Silva Décembre en été (Tôt ou Tard) 2005