La carte de l’intime de Féfé
Pour son troisième album, Féfé a voyagé au Nigeria et sur les terres de l’exil Yoruba. S’il a retrouvé le fil de ses origines pour Mauve, l’ex-membre du Saïan Supa Crew a aussi renoué avec un groove r'n'b. Composé "en famille" avec le musicien Felipe Saldivia (Tiken Jah Fakoly, Christophe Maé, Orelsan) et faisant la part belle à des featurings avec Ayo, -M- ou Tété, ce disque marque bien le retour d’un chanteur plein de bonnes vibrations.
RFI Musique : Sur la pochette de votre album, il est écrit "Y’a pas de vie en rose. Elle nous maquille de bleu, nous guérit, nous ecchymose. Et moi, je vire au mauve." Le mauve, c’est donc pour les coups que vous inflige la vie…
Mauve, c’est pour les deux. Autant pour le rose de la vie que pour ses épreuves. C’est arriver à l’acceptation des deux. Disons que c’est comme si j’étais resté dans l’adolescence jusqu’à il y a peu de temps. J’ai longtemps vu le côté positif des choses et puis je suis passé par le blues. Aujourd’hui, je suis dans un état où j’accepte que la vie soit cette succession de rose et de bleu, de hauts et de bas. J’accepte que le monde soit mauve, je suis mauve. Je sais que rien n’est simple, que tout n’est pas triste et j’avance avec ça.
Quelles sont les épreuves qui vous ont fait changer d’état d’esprit ?
Déjà, que mon deuxième album ne marche pas. Que ce soit avec Saïan ou en solo, je n’ai toujours vécu qu’avec le succès. À une plus ou moins grande échelle, mais ça a toujours été. Et ce deuxième album, je l’ai très mal vécu, car j’ai eu tout ce qu’un deuxième album pouvait avoir de pire : les prises de tête avec la maison de disques, etc. Je me suis donc posé les vraies questions, car je n’avais pas envie de finir aigri. Je sentais venir ce truc, quand tu dis : "C’est pas juste !" J’ai parlé avec des amis qui n’ont jamais connu le succès et qui m’ont dit : "Mais frère, t’es juste en train d’apprendre ton métier." Ils m’ont permis de comprendre que la musique, c’est créer, se prendre des murs et créer encore, parce qu’on ne peut pas s’arrêter. La chanson Aussi fort est assez schizophrénique, c’est une conversation avec moi-même. Il y a le jeune que j’étais à 20 ans qui sort de moi et qui me dit : "Mec, rappelle-toi !" À un moment, j’ai aussi voulu me débarrasser de mes fardeaux, dont le premier était le rapport avec mon père. Il a quitté le foyer quand j’avais seize ans et je ne l’ai pas vu pendant 20 ans. Dans Mauve, l’enfant a grandi, il voit ses parents comme un adulte.
Pour ce disque, vous êtes allé au Nigeria, le pays de vos origines. Comment l’avez-vous vécu ? Était-ce la première fois que vous y alliez ?
Non, je suis allé une fois au Nigeria quand j’avais treize ans. Je l’avais presque vécu comme une agression (rires). Moi, j’ai grandi en France. Je sors de ma cité, je ne connais que le béton. J’arrive au Nigeria, les routes sont défoncées. Les cafards sont dix fois plus gros, il y a des iguanes. Un truc de ouf ! Quand il y a des riches, ce sont des ultras riches. Quand il y a des pauvres, ce sont des ultras pauvres. Quand il y a de la violence, c’est ultra violent. Pour un enfant, c’est très marquant de sentir qu’à tout moment, les choses peuvent vriller. Cette fois-ci, j’étais très méfiant, je me suis dit : "Fais pas le touriste." Quand j’y suis retourné, j’avais presque 40 ans. J’ai beaucoup voyagé et entre temps, je suis déjà allé dans d’autres pays d’Afrique. Je rentrais chez moi, je me sentais très à l’aise. Les sons me paraissaient familiers. J’ai d’abord entendu des voix : ma voix, celle de mon père. J'ai vu aussi des visages comme le mien. J'ai réalisé que c’est un pays où je suis majoritaire. Alors que moi, j’ai toujours été minoritaire où que je sois. Je n’ai personne avec qui partager ma culture en France, je viens du Nigeria ! D’où Naija, cette chanson d’amour. Mais au-delà du Nigeria, c’est vraiment l’amour de quelqu’un pour un village qu’il a quitté.
Vous avez fait ce morceau avec Ayo, qui est originaire du même pays que vous. Était-ce naturel de l’enregistrer avec elle ?
J’ai invité Ayo il y a 15 ans sur l’album d’OFX, Roots, bien avant qu’elle ait du succès. C’est comme une cousine éloignée. On a été élevés dans deux pays différents, mais exactement de la même manière. Avec les mêmes jurons et les mêmes attitudes venant des parents. Quand on était en studio, il y a un truc magique qui s’est passé. À la fin de l’enregistrement, elle a appelé son père et elle lui a fait écouter ce morceau. C’est aussi Ayo qui m’a poussé à faire le clip à Lagos. Elle m’a dit : "Dans un mois, je repars aux États-Unis, il faut qu’on aille tourner le clip là-bas." Et on est parti avec cette énergie.
Vous êtes aussi parti sur les traces de la culture Yoruba à Cuba et au Brésil. Est-ce un voyage que vous vouliez faire depuis longtemps ?
D’une manière ou d’une autre, je savais que ce troisième album serait africain. Mais ce qui est bizarre, c’est que ce voyage sur les traces des rites et des rythmes yoruba m’a ramené vers moi. Plus que du groove, c’est une énergie brute que j’ai trouvée. Au Brésil, je suis allé dans un ghetto de Bahia pour refaire le monde avec un DJ jusqu’à pas d’heure. À Cuba, je me suis fait bénir par des prêtresses au cigare. Et à chaque fois, j’en suis arrivé au constat qu’il faut faire les choses et basta ! Il y a l’énergie du pauvre. Dans Mauve, j’emmerde les gens, mais avec le sourire, avec le cœur et avec amour. Moi, j’ai toujours été rappeur. Et j’ai toujours eu cette frustration de ne jamais avoir de place, autant dans le mouvement hip hop que dans la chanson française. Mais justement, je suis au meilleur endroit, là où je suis le plus libre de créer. Dans cet album, je vais dans le rap jusqu’à l’ego trip mais je vais aussi jusqu’à la ballade, et j’y vais pleinement.
Féfé Mauve (Mercury) 2017