Moran, poète majuscule

Moran. © Louis-Charles Dumais

Moran, artiste québécois à la voix chaudement éraillée, fait rimer précision et émotion, limpidité et sapidité. Son quatrième album Le Silence des chiens regorge de folksongs divines, mélancoliques et belles comme un matin d'automne ensoleillé.

Ce soir-là de novembre à Montréal, lors du festival Coup de cœur francophone, il ouvre son concert par la lecture d'une lettre. La missive en question a été postée sur Facebook par un ami comédien du chanteur. La veille, Donald Trump a été élu président des États-Unis. Stupéfaction générale. Il distille des mots d'espoir pour faire la nique à un sentiment de terreur et d'incompréhension.

Comme dans ses chansons, Moran n'élève jamais la voix. Ce n'est pas dans son mode de fonctionnement. Chez lui, une sorte de force tranquille et cela même pour délivrer ses saines colères. "Je ne pense pas qu'il y ait de la puissance dans le cri. Quand on a des choses à dire à propos de l'autre, de l'image qu'on a de la société et de ce que ça réveille en nous, il faut se méfier des hurlements. Il ne faut rien imposer aux gens, il faut les amener à réfléchir avec nous sans les obliger à quoi que ce soit. Car c'est très subjectif, la façon de voir le monde. Avec les enfants, plus tu gueules et moins tu as de chance de te faire entendre. C'est pareil pour l'art".

Moran reste un artiste confidentiel. Aussi bien en France que dans la Belle Province. Une injustice qu'on ne peut que déplorer. Lui continue d'affiner son art, de s'astreindre à une indépassable discipline, de se laisser commander par l'exigence, de défier les modes et de chanter chaque syllabe avec le même souffle vital. "Je n'ai pas pris le chemin le plus facile pour rejoindre la masse populaire. Par rapport à ce que j'écris, les Québécois qui entendent mes chansons sont convaincus que je suis français".

C'est un artiste sans compromis, contemplatif et dont l'écriture a l'éclat d'un pur-sang. Il ne sait faire qu'une chose : le beau. Qu'il porte avec distinction et élégance. Il y a chez lui ce don de raconter les grands espaces, les dérives du monde ou le sentiment avec seulement une six cordes comme arme de destruction massive.

Ce qui laisse pantois, c'est qu'il n'a touché sa première guitare qu'à l'âge de 30 ans. "Au même titre que le chant, cela s'apprend rapidement quand on est dans le don de soi et non pas dans la performance technique. À cet âge-là, on commence à avoir une bonne idée de qui on est. Quand vient le moment de s'exprimer, on va droit au but. Cela s'est ainsi fait assez facilement malgré mes gros doigts de fermier".

Bashung et Ferré

Depuis, Moran est traversé corps et âme par la musique. Dans ses textes comme dans son chant, il conjugue intimité et intensité. Toujours sur cette même scène montréalaise, une version d'Osez Joséphine touchée par la grâce. Bashung est de toute façon lié à son destin : le lendemain de son tout premier concert sur le territoire français, Moran apprend son décès. "C'est quelqu'un, et je peux vous dire qu'il n'y en a pas beaucoup, avec qui j'aurais rêvé de travailler. J'aurais aimé au moins lui écrire un texte".

Son autre grande affaire - et ce n'est pas un scoop pour ceux qui le suivent de près - c'est Léo Ferré. À l'égard de ce dernier, une admiration sans bornes. Alors lorsque Radio Canada lui offre, il y a quatre ans, une carte blanche pour les vingt ans de la disparition du chanteur anar, il ne tergiverse pas. "Une journée seulement de répétition pour monter quatorze chansons et se produire ensuite devant 500 personnes. C'est l'une des plus belles expériences de ma vie. Des programmateurs québécois et européens me demandent encore aujourd'hui de le refaire. Mais c'est mieux que ça reste un one shot".

En exergue, sur la pochette intérieure du Silence des chiens, une citation du maître Ferré. Elle a impulsé l'idée de la chanson éponyme, viscérale et pénétrante, mais qui ne se drape pas d'effets de manche. "J'avais envie d'évoquer l'impuissance de chacun. Plus on sait ce qui se passe, plus on prend cette position qu'ont les chiens, tristes et soumis. Ils feront toujours ce qu'on leur dit même s'ils ne sont pas d'accord. Il me semble que c'est une image de la société actuelle".

Les arrangements finement ciselés avec son fidèle complice Thomas Carbou, musicien leste et précis, sont habités par des échos de mélancolie contagieuse. Cet auteur-compositeur-interprète de 43 ans puise dans la folk à la beauté immaculée (Merveilleux), les mélodies en dentelle de la musique africaine (Crache ta salive), invite sa compagne Catherine Major pour une chanson de rupture (Tic-tac) et baisse la garde pour se livrer aux doux vertiges de l'introspection (L'orgueil). Moran laisse surtout jaillir une lumière fragile, chaude et bienfaisante. Celle d'un arc-en-ciel consolateur.

Moran Le Silence des chiens (Ad Literam) 2017

Site officiel de Moran
Page Facebook de Moran