Amélie-les-Crayons, des chansons en marchant

Amélie-Les-Crayons au festival d'Avignon 2017. © RFI / Marie-Catherine Mardi

Cinq ans après Jusqu’à la mer, Amélie-les-Crayons est de retour avec son nouvel album Mille Ponts. Entourée de ses musiciens, elle a charmé chaque soir le public du Festival d’Avignon avec son nouveau spectacle, qui s’y joue jusqu’à la fin du mois de juillet. Rencontre au cœur du Festival.

RFI Musique : Cinq années se sont écoulées entre votre dernier album et celui-ci, là où certains artistes sortent des disques à une cadence effrénée. C’est votre rythme de croisière ?
Amélie-les-Crayons :
Entre les trois derniers, il y a eu à peu près cinq ans. On fait 3 ou 4 ans de tournée, puis j’ai besoin de faire un vrai break. On travaille sur Mille ponts depuis un an et demi. Comme je n’écris pas quand je suis en tournée, j’ai besoin de revenir à zéro. J’entretiens une relation très affective avec les spectacles, notamment parce qu’ils sont liés à des gens : pour en faire le deuil, il y a tout un cheminement de séparation. Au début, c’est comme quand on apprend un instrument pour la première fois : il y a tout ce que l’on a pu emmagasiner depuis l’enfance qui se déverse sur la feuille, plein de choses à raconter. Depuis c’est devenu régulier, et mon approche est aujourd’hui différente. Je ne suis pas scolaire dans l’écriture, j’ai besoin de me mettre en conditions pour accueillir les chansons, et non pas d’aller les chercher en travaillant tous les jours.

Votre nouveau projet, présenté sur scène en formule trio, s’articule plus particulièrement autour du rythme et des percussions, de façon presque tribale…
Au moment où j’attendais que les chansons me tombent du ciel (rire), je me suis rendu compte que marcher m’aidait à les trouver. Avant, j’avais besoin du piano pour écrire, je faisais ce qu’on appelle un monstre : une mélodie qui n’est pas définitive et dont on peut après changer la musique. Là je n’en avais plus envie ; les mélodies et les mots me sont venus avec des rythmiques. C’est parti de la marche, et ça s’est croisé avec une rencontre que j’ai faite. J’habite en Bretagne et je vais régulièrement danser aux fest-noz. Un jour, j’y ai vu un monsieur jouer de l’épinette tout en dansant avec ses pieds la danse qu’il jouait. Il portait une barbe blanche et de grands cheveux longs, on aurait dit Merlin. Je l’ai trouvé magnifique de dextérité et très majestueux. Je me suis dit que j’aurais envie de parler de cette danse-là, des pieds, de l’ancrage au sol, et de toutes ces choses qu’on peut ressentir et que je ressens beaucoup en Bretagne, en particulier dans les fest-noz, où l’on danse pour la terre. Au-delà de ça, les chansons parlent du lien qu’on a à la nature, à la terre, et entre nous. Elles racontent un peu cette histoire de Bal des vivants.

C’est une autre chanson qui donne son titre au disque. Pourquoi l’avoir appelé Mille ponts ?
La chanson parle d’un chamane, d’un ermite qui vit hors du monde, hors du temps. Dans chacun de mes albums, il y a une chanson qui parle de ces personnes qui se mettent en dehors du monde pour prier pour celui-ci, comme si c’était nécessaire à son bon déroulement. Dans le disque précédent, c’était Mon ami. Ça m’a toujours fascinée, j’ai passé beaucoup de temps dans les monastères, à observer les moines, parce que je trouve ça hallucinant de donner sa vie à la prière. Sans évoquer aucune religion : je parle du fait de donner sa vie pour s’extraire et prier pour les autres. Plus je vieillis, plus je me rends compte que ces gens-là ont une importance vitale pour l’harmonie et le bon fonctionnement de l’univers. C’est un peu ésotérique. Pour moi, ça a du sens. La chanson Tout dans tout raconte ça : qu’en fait tout est imbriqué. Ce n’est pas moi qui l’invente, mais je le ressens de plus en plus. Du coup, ces personnes-là ont leur importance ; ce sont des gens extrêmement rayonnants et remplis d’amour. Tous les gens comme ça que j’ai rencontrés ont vraiment une aura, quelque chose à donner, et on a besoin de leurs vibrations.

L’une de vos chansons porte le titre mystérieux de Laleina : de qui parle-t-elle ?
En malgache, ça signifie "celle qui est aimée de tous". J’ai rencontré une femme qui vit en roulotte et vient une fois par an habiter à côté de chez moi. Elle s’appelle Madeleine, je l’ai trouvée magnifiquement libre. Etant dans mes recherches de décroissance, mon envie de me libérer du matériel, de lâcher tout ce qui est inutile, je l’ai "kiffée" (rire). Ça donne envie de partir avec elle dans cette vie complètement dénuée de superficiel. Avoir si peu de choses avec soi véhicule une image de liberté, de légèreté. Cette chanson parle de cette femme, ce n’est pas du tout un concept ou une allégorie. Dans mon imaginaire, c’est aussi la fille de celui qui parle dans Mon pays ; elle n’est pas forcément de sang gitan, mais a décidé de tout quitter par choix en devenant nomade, alors que son père, lui, est resté au pays.

Votre tournée démarre à peine que votre nouveau spectacle affiche salle comble chaque soir. Quel regard portez-vous sur cet album ?
Il est vraiment à l’image de ce côté tribal avec le mot bal dedans. Puisqu’on est trois en plus ça marche (rire). C’est-à-dire le retour dans le corps, l’ancrage dans le sol et être heureux d’être vivant avec les gens autour de nous. C'est vraiment ça pour moi en fait, et le partage, beaucoup. C’est comme si, avec ces dernières années noires qu’on a passées, c’était un élan de vie : vite vite vite, il faut qu’on se rappelle pourquoi on est là, qu’est-ce qu’on fait là, qu’est-ce qu’on se fait les uns les autres, du bien ou du mal ? Pour moi, c’est ça Mille ponts. Puis le côté troupe, équipe, fabrication tous ensemble, le premier lien de toute cette histoire est là. Si ça génère de l’amour et cette image positive pleine d’espoir, c’est vraiment lié à ce qu’on vit nous. Si j'avais dû faire ça toute seule, je ne l’aurais pas fait. C’est un des fondements de mon métier de travailler avec des gens que j’aime.

Amélie-les-Crayons Mille ponts (Neômme) 2017
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En concert au Festival Off d’Avignon, à l’Arrache Cœur jusqu’au 30 juillet.
En concert à l’Estival de Saint-Germain-en-Laye le 22 septembre