La Maison Tellier, le monde sur ses épaules

Le groupe français La Maison Tellier. © YANN_ORHAN-BD

C’est le septième disque d’un groupe qui conjugue la musique américaine et des textes littéraires en français. Écrit et enregistré durant les confinements de l’année 2020, Atlas signe un beau retour en grâce pour ces cinq Normands qui n’ont pas rogné sur leurs préoccupations (politiques, écologistes…), ni une certaine idée du poétique. Rencontre avec le chanteur Yannick Marais, et le guitariste Sébastien Miel, plus connus sous le nom d’Helmut et de Raoul Tellier.

RFI Musique : Le titre de ce disque, Atlas, est-ce parce que vous aviez l’impression de porter le monde sur les épaules ? Pour le massif de montagnes ? Ou pour les livres de cartes ?
Helmut Tellier : Un petit peu tout ça ! C’est ce qui était très évident avec ce titre de chanson et d’album.
Raoul Tellier : C’est une porte qui s’ouvre. Ce qu’on recherche, c’est de ne pas trop contraindre l’écoute et d’ouvrir des fenêtres. Atlas, ça fait partie de ces mots qui sont très évocateurs. Moi, ça m’a fait penser aux titans et aux statues grecques, au marbre blanc. Et puis, il y a la montagne, les cartes. Il y a plein de cheminements possibles. Après, chacun trace sa route.

La chanson Trois degrés de séparation s’ouvre sur un discours en anglais. Quelle est cette archive sonore ?
C’est George Bush père, en 1988, à la convention Républicaine. Il annonce sa candidature à la présidentielle. C’est un discours qui est assez fameux parce qu’il dit aux gens "read my lips". "Croyez-moi sur parole". Il jurait ses grands dieux que jamais il n’augmenterait les impôts. Et qu’est-ce qu’il a fait dès son arrivée au pouvoir ? Il a augmenté les impôts. Dans ma tête, je voulais une chanson qui emploie le mot apocalypse. C’est un mot qui a peu de rimes en français. Je trouvais ça chouette de faire un pont entre l’anglais "read my lips" et "apocalypse"...  Tout ça a commencé avec Reagan. Ce qui se passe en ce moment trouve ses racines avec l’arrivée des Républicains hardcore au pouvoir, à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ça a été la déchéance avec l’élection américaine en 2000 volée par Bush fils à Al Gore. Si Al Gore avait été élu, on ne serait sans doute pas dans la merde dans laquelle on est maintenant !

En écoutant cette chanson, je me suis dit que vous n’êtes pas forcément très optimiste, mais j’ai revu mon jugement en lisant vos paroles. Il y a toujours une lumière au bout du tunnel.
H. T. : Pour moi, le meilleur remède à l’angoisse, c’est l’action. Je ne vais pas sauver le monde avec mes petits poings, mais agir sur des petits trucs, ça va me faire du bien ! Ça fait depuis les années 1970 qu’en matière d’écologie, on nous dit : "Attention les gars !" Bon, ben, voilà, on y est… Je n’ai pas vocation à dire aux gens quoi faire ou comment faire. Mais par contre, je n’aime pas qu’on vienne nous enfumer, en disant "Moi, j’y suis pour rien !" Dans le refrain, quand je dis "en vue la prochaine station", on a le choix de descendre. On peut faire un pas de côté.

Il y a un domaine dans lequel vous êtes plus désabusé, c’est l’amour. Avec B.A.U. ou Chambre avec vue, vous parlez de la rupture amoureuse.
H. T. : Je suis d’accord avec toi sur Chambre avec vue et ces chansons de séparation sont un peu des figures imposées. Mais en revanche, B.A.U., c’est autre chose. C’est factuel. Cette chanson est remplie de souvenirs joyeux de mon enfance. T’es dans la voiture avec les frères et sœurs et les parents. C’est la nuit, tu somnoles à moitié. Il y a une petite musique qui passe dans l’autoradio et il fait chaud. Tu regardes par la fenêtre, il y a les étoiles. Et le constat n’est pas désabusé. Même les gens les plus amoureux du monde ne pourront jamais ressentir l’expérience que connaît l’autre ! On ne peut rien y faire.

Il y a quelques années, votre musique était plus acoustique. Avec le disque Beauté pour tous (2013), vos orchestrations ont pris de l’ampleur, faisant notamment référence à Ennio Morricone. Où en est votre ambition de conjuguer des textes en français avec de la musique à l’américaine ?
H. T. : Elle est intacte. Ce n’est même plus réfléchi. Ce qu’on fait quand on est tous les cinq, c’est ça. C’est intéressant que tu parles de l’album Beauté pour tous parce qu’Atlas reprend les choses où on les avait laissées à ce moment-là...
R. T. : ... Mais de façon plus épurée. Beauté pour tous a été l’album pour lequel on a été le plus livrés à nous même, parce qu’on n’avait plus de label et qu’on était tout seuls. On a fait ce qu’on voulait dans la mesure de nos moyens. Mais paradoxalement, c’est à ce moment qu’on a été les plus visibles et les plus reconnus.

Après plus d’une quinzaine d’années d’existence, comment fonctionne La Maison Tellier, ce groupe au sein duquel vous êtes tous de faux frères où tout le monde porte le nom de Tellier ?
H. T. : Tu peux finir comme les Ramones et les Pixies. On ne se dit plus un mot parce qu’on supporte plus de voir les autres en peinture. Mais on considère qu’il y a un truc au départ… Au contraire, l’arrivée d’un nouveau membre, Jeff (à la batterie, ndlr) nous a ramené une nouvelle énergie, une nouvelle vigueur et une nouvelle façon de voir. Cela nous a obligé à reconsidérer des choses qui nous paraissaient complètement acquises. Le risque dans la vie de groupe, c’est de s’enferrer dans quelque chose de nul... Donc, quand tu arrives à faire de la bonne musique ensemble et qu’en plus, tu es content de retrouver les autres gars pour des choses hors musique, il ne peut rien arriver de mal. On est entre amis.
R. T. : On a une relation de vieux couple aujourd’hui...
H. T. : ... Mais en ne gardant que les bons côtés ! (rires collectifs)

La Maison Tellier Atlas (WM FR Affiliated/Verycords) 2022

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