Babx, la voie du piano
Une maison avec un piano dedans : ce n’est ni un disque de "piano solo", ni un "disque de pianiste". Mais le chanteur Babx s’y retrouve seul au clavier, cherchant sa part de vérité... Et sa responsabilité à transmettre à sa fille ce geste hérité de sa mère.
Il le compare à un "grand orque noir" avec sa physionomie ventrue et ses rangées de dents ivoire. Ou plutôt à un "chien de berger" à l’âme fidèle, qui garderait la maison et en protègerait les habitants. Avec le piano, le chanteur Babx entretient un rapport domestique, sans révérence ni sacralisation. "Ma mère (Martina A. Catella, ethnomusicologue et professeur de chant réputée, ndlr) en jouait. Je ne me rappelle pas d’une seconde passée sur terre, sans qu’il n’ait été dans les parages, se remémore-t-il. Dès mes premières années, je crapahutais sous l’instrument : ma cabane, mon terrain d’aventures... Je m’enveloppais dans son chant. Comme dans les familles sud-américaines qui dansent au quotidien, naturellement chez nous, nous célébrions les fêtes autour de lui." Chaque jour, Babx s’y asseye donc "parfois huit heures, le temps nécessaire pour mijoter un bœuf bourguignon, parfois deux minutes trente, le temps d’un œuf au plat."
Récemment, à l’heure de s’atteler à son nouveau disque, alors que tous les mots lui paraissent sonner étrangement faux, enfermant les émotions dans le carcan du sens, il décide, au fil de ses digressions buissonnières, de s’écarter un temps de la chanson pour s’offrir un tête-à-tête avec lui. "Un chantonnement sous les doigts", décrit-il.
Se frayer son chemin
Pour autant, Une maison avec un piano dedans, ne saurait être un disque de "piano solo", ni même, confesse-t-il, un "disque de pianiste". "Quand tu as grandi avec Thelonious Monk et Keith Jarrett, tu sais que tu n’es pas un ‘vrai’ pianiste : comment oses-tu ?", s’interroge-t-il. Car dans son dos, veillent ses piano-héros, leur musique comme autant de phares : Emahoy Tségué-Maryam Guèbrou, Mal Waldron, Nina Simone, Mary Lou Williams, Ravel, Schubert… Pas question, pour autant, de s’avouer trop impressionné ! "Je n’allais pas laisser ces amis du quotidien devenir des ombres menaçantes", raconte-t-il. Mais parmi ces balises, il doit frayer son propre chemin. Dédé Minvielle ne lui avait-il pas dit : "Tu n’es peut-être pas un virtuose, mais tu as un truc à toi quand tu en joues…" ?
Pour trouver sa voix, ce qu’il a d’intime, sans se laisser distraire, Babx convie un complice, son "rabot céleste", d’une lucidité implacable, qui voit clair dans son jeu – David Neerman. Et son copain vibraphoniste de lui poser la question qui remet sur d’excellents rails : "C’est un documentaire ou une fiction ? ". "Avec lui, je ne pouvais plus faire semblant de jouer au pianiste que je ne suis pas", précise-t-il. Une quête d'authenticité ? Il poursuit : "Plus j'avance dans cette pratique, plus je tâche d’aller chercher un bout de vérité, loin des injonctions sociales, des présupposés. Auparavant, j’avais l’impression qu’il fallait être dans la ‘win’, avoir l’attitude d’un poulet gonflé aux hormones. Aujourd’hui, j’ai davantage envie de faire entendre la petite musique qui sommeille en moi, pas celle d’un mec photoshopé."
De la transmission
Une quête de vérité, donc, qui tient peut-être à sa nouvelle responsabilité. Papa d’une petite fille de trois ans, Alma, David Babin se pose la question de la transmission. "Ma mère a quasiment créé son école autour de cette question : ‘comment transmettre la musique à David, lui partager ce que j’ai de plus cher ?’. C’est mon tour. Ma fille m’entend jouer chaque jour, et je poursuis ce fil rouge : que laisses-tu à ton enfant ? Qu’est-ce que tu lui transmets ? C’est essentiel !" La pochette d’album dessinée par l’artiste franco-algérien Djamel Tatah représente David de dos, au piano. Sur son épaule ? Cinq petits doigts. Car la clé du disque se trouve là, au creux du poing d’Alma.
Enregistré en deux jours, avec une poignée de micros, ce disque tendre, modelé et généreux, se veut intime, sincère… Juste et audacieux. Et l’on entend dans chacun de ses accords, de ses notes en pluie, de ses lumières en clair-obscur, dans ses paysages, l’histoire personnelle de David. On y tend l’oreille à un piano créole, un mix d'influences qui retrace ses parcours, ses amours, un entrelacs de musiques traditionnelles, classiques, de jazz, des échos de Bach, de Monk… Et puis, il y a ces pièces comme des historiettes, de petits films atmosphériques, délicats ou musclés, qui dansent en funambules sur leurs trames narratives : Merveille dans la pirogue, Train cajun, Carnaval, Le cortège de Lilibet, Milonga… Comme des chansons sans parole. On y entend la sérénité d’une voix (re)trouvée, d’une harmonie paisible, d’un chemin ensoleillé.
Pour cet album, Babx a signé chez Buda, label réputé pour son riche catalogue de musiques traditionnelles, "trésor de l’humanité" selon l’artiste. Est-ce à dire qu’il compose des "musiques traditionnelles" ? "J’aime la définition qu’en donne l’ethnomusicologue Bernard Lortat-Jacob. Elles seraient de celles qui investissent la vie des gens. D’ailleurs, si on arrête de la considérer comme une chapelle intouchable, la ‘musique classique occidentale’ serait, selon moi, notre ‘musique traditionnelle’. Dans toutes ces expressions, il est question de gestes répétés, comme ceux des artisans, des paysans... Il est aussi question d’héritage, de quotidien, de filiations…"
Car voici ce dont il est question dans cet album. Une musique traditionnelle, héritée et transmise en famille, jouée aujourd’hui et léguée aux générations futures. Sans sacralisation ni révérence. Comme un piano dans une maison...
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Babx, Une maison avec un piano dedans (Buda Musique) 2023