Cassius rêve

Cassius © DR

Avec Daft Punk et Air, ils sont sans doute le binôme le plus explosif de la pop house synthétique à la française. Cassius, alias Philippe Zdar et Hubert Boombass, revient assurer notre hégémonie sur les hits et les pistes de danse planétaires avec ce second album à l’explosive réalité intitulé Au rêve .

Aux pieds de la butte Montmartre, dans le vieux studio de variétés dont Philippe Zdar vient tout juste de faire l’acquisition, il y a de l’électricité dans l’air. Pourtant tout est prêt pour le direct radio. Pour célébrer le lancement de leur nouveau CD, les Cassius et leurs copains DJs ont pris l’antenne de FG, une station FM parisienne. Tout le matériel est en place, et pour le direct live il est H moins 30 minutes. Derrière des remparts de vinyles, Zdar penché sur ses platines teste ses mixes. Boombass est debout derrière son sampler. Et les deux semblent communiquer par télépathie. Douze années se sont déjà écoulées depuis leur première rencontre sur la production de MC Solaar. Et si chacun a mené avec succès son propre projet électronique, la Funk Mob pour Boombass, Motorbass pour Zdar, c’est avec 1999 , le premier Cassius, que la poudre rencontre véritablement les allumettes. L’album nous marquera de ses séquences festives et de ses samples élégants, puisés au stock de la funkitude éternelle. Trois ans plus tard c’est un Cassius nouvelle génération que l’on voit émerger. Remisant les échantillons, l’album n’en compte que deux, les Cassius font un franc retour vers les harmonies vocales et les instruments authentiques. Dans la tension du direct, à quelques minutes de l’antenne, Boombass nous livre les clefs de ce nouveau Cassius.

RFI : Vous avez fait tout le contraire de ce que vous faites d’habitude pour enregistrer cet album.
Boombass : En studio, on a essayé surtout de se surprendre. Lorsque nous avons commencé à faire les morceaux, très vite nous avons remarqué qu’ils ressemblaient à l’album d’avant. Nous devions impérativement nous remettre en question, pour nous amuser d’une autre façon.

RFI : Parce que vous n’avez tout simplement plus la même vie !
Boombass : On a 35 ans, des enfants, il fallait qu’on fasse un truc différent. Cette musique a évolué aussi, comme la façon de travailler et aussi le matériel. Le déclic est surtout venu quand on a enregistré le morceau I’m A Woman , avec Jocelyn Brown, lorsque nous l’avons rencontrée fin 99.

RFI : Cela faisait bien dix ans qu’on ne l'avait pas entendue, depuis Incognito, le groupe du Mauricien JP Maunick.
Boombass : Elle a fait pas mal de maxis, mais c'est vrai qu’elle s’est fait aussi avoir avec des indélicats qui ont pris sa voix. En tous cas, la rencontre a été extrêmement positive puisque nous avons immédiatement fait une chanson puisque nous avions une chanteuse ! Cela a aussi déclenché notre remise en questions : on s’est alors dit que c’était bien aussi d'écrire une chanson, des paroles, un couplet, un refrain, une structure. Du coup, on a travaillé différemment.

RFI : Pourquoi ne pas avoir enregistré en français ?
Boombass : Cela ne nous branche pas. On a la chance d’avoir un disque qui peut sortir dans vingt-cinq ou trente pays, alors qu’en français cela se limite de suite à trois pays ! Et puis même, passer après Gainsbourg c’est compliqué. Et Jocelyn Brown chante tellement bien qu’on ne pouvait pas résister à l’idée de le faire en anglais. Ensuite, il y a eu Steve Edwards, Leroy Burgess, Ghostface et Gladys.

RFI : Protection où chante Gladys est une des plus originales .
Boombass : Déjà c’est un morceau qui n’a pas de beat, on voulait le faire depuis longtemps. Et puis cela n’est pas vraiment une chanson, mais plutôt une sorte de slogan répété tout le long, c’est un vrai mélange qui me touche énormément. RFI : Il y en a toujours un pour veiller sur l’autre ?
Boombass : C’est la clef de tout. Moi j’ai essayé longtemps de faire de la musique seul et je ne le ferai plus. Si, j’aime bien commencer un truc à la maison, seul la nuit. Mais il vaut mieux être au minimum deux. Il connaît mes défauts , je connais les siens ; on n’a même pas besoin de s’engueuler. Si je n’assure pas ou s’il n’assure pas, on le sait. On se prend un peu le chou parfois cinq secondes, mais cela n’ est rien.

RFI : Parmi les chanteurs, il en manque d’ailleurs un à l’appel !
Boombass : Ah ! Zdar bien sûr, c’est une nouvelle expérience. C’était l’éclate au studio, mais après on ne savait plus du tout. On ne voulait pas garder le morceau, car nous trouvions ce titre beaucoup trop lent. Alors nous l’avons accéléré.

RFI : Donc la voix de Zdar a aussi été accélérée sur See Me Now , ce qui explique la hauteur de son timbre?
Boombass : On a un peu tout accéléré. C’est passé dans 50.000 boîtes électroniques . On a tout bidouillé, on a défoncé le son et c’est un de mes morceaux préférés aujourd’hui. C’est sans doute le plus personnel avec Hi Water qui ouvre l’album. C’est un morceau que nous avons fait très vite, le dernier de l’album à avoir été enregistré.

RFI : Et c’est pour cela qu’il l’ouvre !
Boombass : Tout à fait. C’est notre côté paradoxal. On s’est pris dans les bras à la fin de ce titre, on pleurait en le réécoutant, c’était un souvenir génial.

RFI : The Sound Of Violence est-il un tube violent ?
Boombass : J’adore la partie de basse, le côté épuré de sa structure et surtout les guitares de M, Mathieu Chedid, le troisième membre caché de Cassius. En fait il a commencé à jouer sur I’m A Woman tandis que Philippe achevait de mixer son propre album Je dis aime . Du coup ils sont devenus super amis. On s’est rencontré et à notre tour nous sommes devenus potes. Un jour il a fait des guitares sur I’m A Woman et c’était une tuerie. Mathieu passait sans cesse au studio pour des solos de guitar-hero. C’est un musicien d’une générosité absolue. Pour moi, c’est un des meilleurs que j’ai jamais entendu sur une guitare. Et cela n’est pas que technique. Il a une telle personnalité qui ressort dans son jeu, c’est un feeling, une émotion, son émotion.

RFI : C’est nouveau aussi le fait d’utiliser de vrais musiciens sur un album ?
Boombass : On a joué plein de trucs, on a éliminé tous les samples. On a acheté plein de guitares, plein de claviers, des basses. On joue d’un peu de tout, pas très bien. Parfois c’était bien d’avoir l'apport d’une "brute". On a aussi Ernie Watts qui est venu faire des saxes. On a eu des choristes aussi. C’était comme des séances normales, musicales avec des musiciens. Pas un disque avec des samples !

RFI : Vous injectez différents climats dans vos morceau, cela n’est jamais linéaire.
Boombass : Nos morceaux sont de gros puzzles. Ce sont plein d’idées qui arrivent et que l’on associe pour former une espèce de voyage. Parfois on utilise des hybrides, différentes versions du même morceau que l’on va découper et recoller, on le transforme chaque fois en lui mettant plusieurs costars et on réassemble.

RFI : Thrilla, votre premier rap depuis votre collaboration avec MC Solaar, est- il un retour aux sources ?
Boombass : Cela a été surtout le pied de travailler avec Ghostface Killah du Wu Tang Clan. Avec un Américain, c’était la première fois. Il s’est éclaté sur ce morceau à 123 BPM, or pour un rappeur c’est loin d’être un tempo courant. Il a fait ses voix à New York et au Paramount studio de Los Angeles.

RFI : Au rêve , c’est l’ouverture finale ?
Boombass : Tout à fait , j’adore. C’est Mathieu qui s’est amusé en studio avec l’« echoplex », une vielle boîte à rythmes. Tu fais ton solo et tu as un vieux delay à bande. Il a fait son solo pendant sept ou dix minutes, on a vraiment déliré.

RFI : En fait cet album vous ressemble terriblement .Vous vous livrez totalement…
Boombass : On a mis tout ce qu’on avait dedans. Cet album s’est fait sur une longue période de deux ans, c’est une tranche de notre vie. Plus qu’un disque, c’est un bout de notre amitié à Zdar et à moi.

Cassius Au rêve (Virgin) 2002
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