Yelle, l'espoir d'un monde plus beau

"L'Ère du Verseau" est le 4e album studio de Yelle. © Marcin Kempski

Six ans après Complètement fou, le groupe Yelle revient avec L’Ère du Verseau, un disque plus intime, plus mélancolique, en clair-obscur, mais toujours aussi dansant. Rencontre avec la chanteuse Julie Budet.

RFI Musique : Qu’avez-vous fait depuis votre dernier disque, Complètement fou, sorti il y a six ans ?
Julie Budet : Une fois rentrés d’une grosse tournée, nous avons pris un temps de pause, avant de nous remettre à la composition. Toutefois, nous n’avions pas envie d’être cadrés par le format "album". Nous souhaitions explorer d’autres manières de créer. Ainsi, nous avons sorti quatre titres en deux ans, sans liens entre eux. Nous avons aussi expérimenté la formule "Yelle Club Party", avec un rapport proche, brut, au public. Et puis, nous avons eu assez de matière pour réaliser ce disque... 

Où avez-vous tourné ? Qu’est-ce que ça vous a apporté ?
En Asie, en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud, en France… Toutes ces tournées m’ont inspiré la chanson Mon beau chagrin, une sorte de lettre à nos fans. J’y décris cette sensation qui s’empare de nous, à l’aube, dans les aéroports : ce mélange d’hyper-joie, d’excitation à l’idée des moments forts à venir, et cette tristesse folle en songeant à celui qui vient de s’achever. C’est toujours un peu particulier, ce sentiment en clair-obscur, difficile à formuler...

Dans Je t’aime encore, sorte de réponse à Lettre à France de Polnareff, vous évoquez votre relation compliquée avec votre pays… Vous sentez-vous incomprise ?
Dans cette chanson, je dresse le bilan d’une relation longue. Voilà quinze ans que nous jouons de la musique en France. Et alors que nous sommes plébiscités à l’étranger, nous nous sentons en partie incompris ici. Par exemple, pour Safari Disco Club (2011, ndlr), nous avons eu de très bons retours des médias, mais nous avons peu joué. On nous dit parfois que notre musique est bizarre, que notre show est tape-à-l'œil... En fait, je pense que nous avons brouillé les pistes en naviguant entre des créations ultra populaires, mainstream, comme Parle à ma main ou la tecktonik, et des trucs indés, signés chez Kitsuné. Mais j’aime les grands écarts ! Et puis, nous sommes un groupe qui porte mon nom, donc, ça aussi, ça intrigue… La relation est belle et forte, mais compliquée. 

Pourquoi avez-vous nommé votre disque L’Ère du Verseau ?
J’ai eu cette révélation en discutant avec quelqu’un qui pratique la médecine chinoise. Il m’a expliqué les différentes ères astrologiques. Et nous voilà en train de quitter l’ère du Poisson, guerrière avec un pouvoir pyramidal fort, pour l’ère du Verseau, davantage tournée vers l’humanité, la fraternité. Donc d’un univers assez chaotique, nous nous dirigeons peut-être vers un monde plus beau, quasi utopique. Cette "prophétie", cette vision portée par les babas cools, me séduit : un message que j’ai envie de véhiculer…

Vous croyez en l’astrologie ?
Je suis de plus en plus intéressée par le mouvement des planètes, celui des astres les uns par rapport aux autres. Les corrélations, les compatibilités astrales, entre les personnes m’intéressent. Je suis athée, dans le sens où je ne crois pas en Dieu, mais je crois fort au pouvoir de la nature, aux forces terrestres, aux ondes, au pouvoir d’attraction de la lune, aux énergies. D’ailleurs, la musique se tisse d’ondes et d’énergie : tout cela participe d’un seul et même esprit. 

Vous avez composé une chanson intitulée Karaté… Vous pratiquez ?
Non, mais j’aime l’esthétique des arts martiaux, le côté chorégraphié des mouvements, l’aspect spirituel et ce repli vers l’intérieur de soi-même. Et puis, il y avait un côté phonique dans les paroles, avec ces syllabes qui rebondissent : "Comment t’es sur le tatami/ quand t’es pas caché/ quand t’as pas d’amis ?". Dans ce titre, j’exprime aussi la violence de certaines personnes retranchées derrière leurs écrans, qui se lâchent et nous agressent. Je leur adresse cette question : "Si tu te retrouves face à moi, tu fais quoi ?"

Durant la gestation de ce disque, votre père est mort. Comment cet événement a-t-il influencé votre création ?
Son décès au printemps 2019 a, bien sûr, teinté l’esprit de l’album. En règle générale, je suis quelqu’un d’hyper positif… Beaucoup moins depuis sa disparition. J’ai l’impression d’être devenue adulte. Auparavant, j’avais cette sensation d’être une adolescente attardée et débile qui navigue aux quatre coins du monde. Là, j’ai pris conscience, j’ai ouvert les yeux sur la vie et la société. Du coup, le disque, comme son esthétique, se révèle plus sombre. C’était tellement soudain… Mon père a fait un AVC, et trois jours après, il succombait, alors que j’avais l’impression qu’il vivrait jusqu’à 95 ans. Ça m’a ramenée à la réalité de manière hyper violente. J’ai quitté le monde des Bisounours et pris de la gravité.

Pourtant, ce disque, comme les autres, se révèle ultra-dansant…
Je crois en effet que la danse reste une espèce de bouée de sauvetage à laquelle on se raccroche, afin que les corps s’expriment, qu’ils se libèrent. J’avais besoin de cette énergie qui ouvre les vannes, et déverrouille. 

Vous avez, cette fois, beaucoup écrit sur l’amour et le couple…
L’amour reste un puits sans fond d’inspiration dans lequel on peut chercher des questions et des réponses toute sa vie. Avec GrandMarnier (le DJ et producteur qui travaille avec elle, ndlr), nous sommes ensemble depuis 17 ans. Autour de nous, énormément de couples se déchirent, se défont. Alors, forcément, nous nous questionnons sur notre propre vie. Au fil du temps, on aborde le couple de manière différente. Par exemple, on accepte des situations que nous n’aurions pas imaginées au bout de deux ans de relation. Et vice-versa. Nous apprenons à grandir...

Est-ce votre disque le plus intime ?
On ne s’est jamais censurés. Mais là, j’arrive à un âge où j’ai davantage confiance, où je lâche des facettes intimes, où je laisse transpirer. Du coup surgit un aspect que j’assumais moins au départ : la mélancolie. 

Depuis le début, et notamment avec Yelle Club Party, vous investissez les dancefloors… C’est important pour vous ?
Oui, et pourtant, ce n’est pas vraiment inscrit dans la culture française. Nous n’avons pas ce rapport au corps qu’ont les Anglais, les Brésiliens, ou les villes américaines comme Détroit, où la danse se vit comme une transe. En fait, je ne suis pas une grosse fêtarde, je n’ai pas besoin de sortir beaucoup pour exulter. Mais depuis que je suis petite, avec mes parents, je suis entourée de musique. Et je voyais les gens danser, chez nous. J’ai fait du théâtre, de la danse, de la gym, j’ai laissé exprimer mon corps. Et puis, en tant que Bretonne, je suis beaucoup allée dans les fest-noz. Parfois je danse de façon intense, pour me réaccorder à la vie…

Vous percevez des relations entre la danse et la philosophie ?
Oui ! Tout correspond ! La danse donne des réponses. C’est le principe même du mouvement. Quand on est coincé, on part marcher, voir la mer, faire courir le chien. Par la danse, il y a parfois une conjonction du corps et de l’esprit, quand tout est aligné et fonctionne ensemble. C’est comme si tu trouvais le code pour débloquer un cadenas…

De quoi rêvez-vous ?
Là, maintenant, de refaire des concerts…

Yelle L’Ère du Verseau (Idol) 2020
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