Wax Tailor, plus politique que jamais

"The Shadow of Their Suns", le nouvel album de Wax Tailor. © Ronan Siri

L’artisan des samples Wax Tailor porte un regard sombre sur notre société. Rencontre avec un musicien "optimiste lucide", concerné et indigné, qui a multiplié les collaborations sur son nouvel opus, The Shadow of their Suns.

Au départ, il y a un titre, celui de l’album. The Shadows of their Suns ("l’ombre de leurs soleils") est une expression tirée d’un texte écrit avant même le projet Wax Tailor, lorsque son créateur, Jean-Christophe Le Saoût lorgnait plutôt du côté du rap conscient (il scandait : "À l’ombre de leurs soleils on cultive la lumière crue").

Depuis son studio personnel, situé aux confins de la Normandie, il explique : "Ces paroles sont toujours d’actualité 20 ans après. J’ai besoin d’un titre pour démarrer l’album, cela lui donne une orientation, reflète un peu tout ce que j’ai en tête. Il en est de même pour chaque titre de l’album lorsque je contacte un chanteur ou une chanteuse pour qu’ils écrivent un texte. Je leur explique longuement ce que je ressens et ce que je veux faire ressentir. C’est mon côté psychorigide alors que beaucoup d’artistes veulent aller vite. Du moins, leurs managers le disent. Ils sont un peu le cancer de la musique : la grande majorité est dans une logique de développement de carrière et de calculs économiques."  

Évidences 

Le musicien n’a pas transmis quatre instrumentaux à des artistes à la mode, et il ne s’est pas contenté d’attendre qu’on veuille bien lui renvoyer quelque chose. Il y a eu des évidences artistiques et des discussions. Contrairement aux albums précédents, sur lesquels les invités étaient aussi très présents, pas de premier, de deuxième ou de troisième choix.

L’alchimiste des samples a invité des interprètes qui correspondaient complètement au sens et aux sonorités de ses musiques. Ainsi, Mark Lanegan, artiste américain qui a croisé Kurt Cobain ou Queen of the Stone Age, dont la voix sépulcrale se marie à une rythmique sèche (Just a Candle), où il est question de tombe et de chagrin. Ou la rappeuse sud-africaine Yugen Blakrok, dont le timbre rauque pose une noirceur sur Dusk to Dusk. Avec Misery, la voix jazzy et légèrement surannée de Rosemary Standley (Moriarty) entonne le refrain "la misère n’est pas mon amie", illustré par un clip orwellien.

Comme à son habitude, Wax Tailor a déniché de vieux dialogues de films, … ou un discours, comme sur Misery, tenu par le gouverneur de New York dans les années 1980 qui constate qu’il y a plus de pauvres que jamais. Paint in Black donne la parole à feu Gil Scott-Heron, poète et slammeur américain avant l’heure, qui décrit le quotidien de Noirs dans un ghetto. La chanteuse Adeline évoque les médias et la vérité sur Déjà vu, quand le titre d’ouverture cite 1984…  

 

Est également invité le rappeur américain D Smoke, posant sa voix sur un titre façon hip hop West Coast (Keep it Movin). Jean-Christophe raconte : "Je l’ai découvert dans une émission américaine type The Voice qu’il a remportée. Je l’avais contacté entretemps. Je me suis dit qu’il n’aurait jamais un moment car tout s’est accéléré pour lui, mais le confinement nous a aidés… J’avais davantage d’évidences pour cet album que les précédents, comme avec Boog Brown, qui évoque la conscience de classe sur Shining Underdog, un titre comme un clin d’œil à Sly & the Family Stone."  

Indépendance 

Misère, conscience de classe, condition des minorités… La pochette arbore un poing levé et sale, sans doute celui d’un ouvrier, peut-être en lutte. À bien écouter les paroles en anglais de ce sixième opus, on comprend le constat et le propos presque militant de Wax Tailor. "Je suis dans une sorte de colère froide, plutôt optimiste lucide que vraiment pessimiste. Je ne veux pas tomber dans le piège du donneur de leçons. La musique ne change pas le monde. Elle accompagne la société. On a réussi à convaincre les gens qui gagnent 3000€ par mois qu’ils font partie des nantis, parmi ces soleils artificiels, et qu’ils s’opposent aux classes populaires. Je crois que nous sommes arrivés à la fin d’un cycle, celui de l’ultra-libéralisme des années 1980, avec notamment les protestations des gilets jaunes." Un mouvement qu’il a personnellement suivi dans sa Normandie, après avoir observé celui d’Occupy Wall Street, à New York fin 2011. 

Jean-Christophe ne s’arrête plus lorsqu’il s’agit de parler de la société. Cette conscience de classe vient de son passé familial, deux parents ouvriers, et de ses lectures de Pierre Bourdieu. "Pour mes parents, que je devienne prof d’anglais, c’était une réussite. La musique pas du tout. Il y a un côté très militant dans ma famille. Certains ont trouvé que mon projet Wax Tailor était moins politique que ce que je faisais auparavant dans le rap, pas sûr. J’ai refusé toutes les propositions des majors du disque et je suis resté indépendant, ça c’est politique. J’aime à penser que ma musique peut ouvrir quelques petites portes vers une réflexion."

Wax Tailor The Shadow of Their Suns (Lab'Oratoire) 2021

Site officielFacebook / Twitter / InstagramYouTube