Jacques, « le foutraque »

Le chanteur Jacques. © Alice Moitié

Le trublion à la tonsure est passé des squats parisiens aux montagnes du Maroc, des expérimentations sonores à la pop. Rencontre avec un touche-à-tout loufoque et lucide. 

Il est physiquement reconnaissable grâce à ses longs cheveux et à sa tonsure, une fausse calvitie qu’il entretient depuis plusieurs années. Artistiquement, ce jeune homme de 30 ans semble plus difficile à cerner, car il aime marier les contraires ou apparaître là où on ne l’attend pas. Il s’est fait connaître par sa musique conçue à partir de bruits du quotidien, à l’instar de ce que créait l’Anglais Matthew Herbert. On a pu le voir, vêtu d’un costume et d’un turban, donner une conférence TEDx en Alsace, intitulée " Les chemins de la confiance ". Il commence par y expliquer qu’il n’a pas fait d’études après son bac passé à Strasbourg.  

Squats 

Lorsqu’il se rappelle ces moments, il confie : " Mes parents n’étaient pas très branchés études. À Paris, j’ai rencontré un gars qui m’a appris comment monter un squat artistique, matériellement, juridiquement… J’ai réalisé plus tard que tout le monde avait fait des études. " Pas d’études, pas de boulot, il s’installe, seul ou avec d’autres artistes, dans une ancienne gare parisienne, à la SIRA d’Asnières-sur-Seine, ou à Bagnolet. À Saint-Ouen, au nord de Paris, il squatte l’ex usine Wonder. Avec des amis, il crée le collectif Pain Surprises, qui organise des fêtes, réalise des vidéos ou publie de la musique. Ils fréquentent l’avant-garde branchée. "J’ai réalisé que j’étais méga bien placé dans l’underground parisien. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, car cela change très vite. Je pouvais faire des concerts dans tous les squats de la capitale, ce qui a participé à l’engouement autour de mon projet ", explique avec lucidité Jacques. 

Chanson pop 

Avec son ami Alexandre Gain, il crée le Centre National de Recherche du Vortex. À eux deux, ils mènent en blouses blanches des expériences de balayage de balayettes, de ponçage de ponceuses ou de fenêtre passant par une fenêtre… Une façon de questionner un monde qui ne semble pas toujours faire sens pour deux énergumènes qui aiment les concepts loufoques, à la limite de l’absurde. 

L’année suivante, en 2016, la Maison de la Radio l’invite à composer de la musique à partir de sons glanés dans le gigantesque bâtiment rond de Radio France. Le résultat est une chanson très accrocheuse. "J’ai toujours eu cette envie de pop. Quand on m’a proposé cette expérience à la Maison de la Radio, fief du GRM (Groupe de Recherche Musical, à l’origine de la musique concrète, NDLR), on m'attendait sur quelque chose de très expérimental. Par esprit de contradiction, j’ai conçu une chanson pop pour qu’elle passe à la radio. C’est un peu devenu mon tube". Ce titre est effectivement beaucoup diffusé et devient pendant trois ans le générique de l’émission "Foule Sentimentale" sur France Inter.  

Passé rock 

Une chanson digne du CNRV puisqu’elle évoque une chanson diffusée à la radio : "C’est bien la première fois/ Que j’entends ma voix/ En dehors de moi/ Dans la radio" Jacques tient peut-être ce côté pop de son père, Étienne Auberger, qui a connu un succès au milieu des années 80 avec Ô Sophie. Lui et son frère Benjamin apparaissent comme ses clones dans le clip Vous. Un grand frère qui était porté sur le rap quand Jacques ado préférait le rock de Led Zeppelin, AC/DC, the Strokes ou Arctic Monkeys. Il récupèrera la guitare de son aîné et jouera dans le groupe Rural Serial Killers. 

Désormais, en concerts, il aime utiliser des sons en direct pour les incorporer à ses rythmiques électroniques : verres, cloche, couverts… grâce à son dispositif Phonochose, qui lui permet de sonoriser n’importe quel objet. De ses trois années de tournées à travers le monde, Jacques tire un conséquent album de 125 titres live retravaillés sous la forme d’une compilation intitulée Sous Inspi.  

Exil marocain 

En décembre 2018, le soir de ses 27 ans, Jacques se fait cambrioler tout le matériel de son studio Wonder. Il annonce arrêter les tournées et disparaît au Maroc. Les réseaux sociaux croient qu’il a mis fin à sa carrière. "En fait, j’étais crevé, il y a eu ce cambriolage et j’avais prévu de partir vivre au Maroc près de ma grand-mère maternelle. J’y ai fait beaucoup de musique et je n’avais pas trop Internet", raconte celui qui se méfie des réseaux sociaux. "Les réseaux te poussent à publier du contenu, à parler pour ne rien dire. Tous les artistes bossent gratuitement pour Instagram en pensant travailler pour eux. Je voudrais sortir de cela, mais cela semble impossible. Je me sens corrompu de tous les côtés".

Ouai Stéphane, François (the Atlas Moutain), Polo (moitié de Polo&Pan) ou Salut C’est Cool viennent le retrouver près de Taghazout. Il y compose des titres avec Agoria ou Superpoze et ce quatrième album Limportanceduvide, résolument pop, dans la lignée de Dans la Radio. Jacques assume ses ambitions de chanteur et va monter un groupe pour se produire sur scène. Une nouvelle expérience en perspective. 

Jacques, Limportanceduvide, Recherche & Développement, 2022. 

Site officiel / Facebook / Instagram / YouTube