Avec l’électro-sabar, Guiss Guiss Bou Bess efface un peu plus les frontières
À travers son mini-album Jolof Bass Music, le trio franco-sénégalais Guiss Guiss Bou Bess crée les conditions d’un dialogue musical transculturel qu’il avait déjà commencé à aborder entre percussions sénégalaises et basses électroniques occidentales.
Faire le choix de l’avant-garde, sur le plan militaire comme celui de la musique, s’apparente toujours à prendre un risque. Dans un pays à la fois ouvert, mais attaché à ses traditions et fier de les conserver comme l’est le Sénégal, la démarche s’avère encore un peu plus audacieuse. Lorsqu’il repense aux premiers pas effectués par Guiss Guiss Bou Bess après la naissance du groupe en 2016, Mara Seck l’admet sans réserve : "Au début, ce n’était pas évident parce qu’on avait créé un genre de musique que les gens n’imaginaient pas", se souvient le chanteur trentenaire.
"Les musiques électroniques au Sénégal souffrent d’un a priori comme celui qu’on avait en Europe au début des années 90 : c’est pour les fous, les drogués, ceux qui ne sont pas bien dans leur tête. Et en plus, pour beaucoup, elle est faite pour les Blancs par les Blancs – ce qui est faux, car elle vient des Afro-américains de Détroit et Chicago", complète Stéphane Costantini, beatmaker français du groupe.
Mais l’ouverture du continent africain aux musiques électroniques ces dernières années est incontestable – à l’image dus succès de l’amapiano venu d’Afrique du Sud – , et les "préjugés" dont elles faisaient l’objet sont en recul, notent les deux hommes, qui forment avec le percussionniste Aba Diop un trio prêt à défricher et ouvrir une voie musicale : en wolof, Guiss Guis Bou Bess ne signifie-t-il pas "nouvelle vision" ? Après Heritage, une première carte de visite discographique suivie dans la foulée de l’album Set Sela fin 2019 atteint de plein fouet par la pandémie quelques mois plus tard, Jolof Bass Music et ses six morceaux ont pour ambition aujourd’hui de souligner davantage le travail en studio d’un groupe qui a fait ses preuves en live.
Ce nouveau répertoire se situe "à la croisée du djolofbeat, qui est le pendant sénégalais de l’afrobeat(s) nigérian, et de la bass music, qui vient d’Angleterre", explique le Français. Avec ses partenaires, il avait l’intention de "sortir quelque chose un peu plus pour les clubs" tout en évitant d’avoir "un son extrêmement produit" pour que "ça reste assez brut". En particulier les percussions, primordiales dans leur rencontre artistique.
Dans la recherche tout en finesse d’une "juste mesure", les trois musiciens ont confié au producteur parisien anyoneID (déjà entendu avec l’Ivoirienne Asna) le soin de mixer leurs enregistrements réalisés pour l’essentiel dans la capitale sénégalaise. "Il a fait un travail remarquable", estime Stéphane Costantini en référence à la "spatialisation" et "aux réglages du bas du spectre".
À leurs côtés, ils ont fait intervenir quelques instrumentistes supplémentaires, à la guitare, au masinqo éthiopien, au tama sénégalais ou encore aux claviers DX7 pour un son de marimba cher au mbalax. Certains morceaux, préparés à l’époque de Set Sela, mais finalement mis de côté, car ils ne correspondaient pas au cadre, ont été remis sur le métier. C’est le cas de Yaye Bëgg Nala. Imaginé récemment, Insh Allah prend racine dans un contexte spécifique : "Même si les paroles ne traitent pas directement du Covid, elles en parlent de façon elliptique sans nommer cette période", précise le beatmaker.
À l’origine, il y a la vidéo du danseur Baidy Ba de Kaolack postée sur Facebook en avril 2020, en soutien à tous ceux bloqués chez eux en raison du confinement. Les percussions inspirent au Français les bases musicales, puis Mara Seck s’en empare, avec sa vision personnelle de l’expression "Insh Allah" pour le texte : "On dit toujours que c’est 'si Dieu le veut'. Moi, je le prends autrement : la persévérance. Dans les moments difficiles, il faut que tu croies en toi, que tu parles à ton cœur et ton esprit", explique le chanteur, à l’aise pour trouver ses marques et poser sa voix dans un environnement musical en apparence éloigné de celui dans lequel il a grandi. "Un héritage", assure le fils d’Alla Seck, compagnon de route de Youssou N’Dour dont le nom figure au panthéon du mbalax.
Guiss Guiss Bou Bess Jolof Bass Music (Helico Music) 2023
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