
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
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Archie Shepp, vigilant et insoumis !
Le saxophoniste américain Archie Shepp s'est battu toute sa vie contre l'oppression, l'injustice, la ségrégation, et la bêtise humaine. Sa seule arme de défense fut la musique accompagnée d'un discours tranché, direct et sans concessions. Très respectueux de ses aînés, Archie Shepp a très vite réalisé que la musicalité de ses pairs portait en elle une forme de rébellion silencieuse, celle de la communauté afro-américaine contrainte de lutter au quotidien pour trouver sa place dans une société blanche toute puissante. Ce simple constat conditionnera l'état d'esprit et le répertoire d'Archie Shepp.
Bien qu'il fut, un peu hâtivement, identifié comme un frondeur, adepte du free jazz, c'est d'abord le blues qui animera la force expressive de ce musicien hors normes, car le blues est la matrice de toutes les cultures noires. Le blues est un cri, un récit, une émotion, une émanation de la destinée tragique des esclaves africains parvenus, contre leur gré, aux Amériques, il y a quatre siècles. Le blues est l'ADN culturel des citoyens noirs aux États-Unis. Archie Shepp le vit dans sa chair et dans son âme.
Explorateur et créateur à l'affût de la nouveauté et de l'originalité, Archie Shepp a de la mémoire et sait se souvenir des personnalités ou évènements qui ont façonné son épopée. En réinterprétant récemment en big band les compositions de son album « Attica Blues », paru à l'origine en 1972, il nous suggère insidieusement de rester vigilants face aux dérives sociales et raciales de notre temps. Car « Attica Blues » fait tristement écho aux exactions policières constatées aux États-Unis ces derniers mois. Il y a 40 ans, la prison d'Attica dans l'Etat de New York devint, en quelques heures, le symbole de la confrontation violente entre Blancs et Noirs.
Le 21 août 1971, l'un des leaders des Black Panthers, célèbre mouvement de contestation révolutionnaire afro-américain, meurt dans la cour de la prison de Saint-Quentin en Californie dans des circonstances très mystérieuses. Les autorités auraient, dit-on, été alertées d'une tentative d'évasion et auraient exécuté le fuyard sans sommation. Bien que cette version n'ait jamais été vérifiée, c'est en toute impunité que les forces de l'ordre réduiront au silence un opposant trop gênant, George Jackson.
Une semaine plus tard, 800 détenus de la prison d'Attica, à l'autre bout du pays, lancent une action de protestation contre leurs geôliers en revendiquant des conditions humaines de détention. Immanquablement, la tension monte et la situation dégénère… Devant l'implacable intransigeance des autorités, les prisonniers décident de faire pression en prenant en otage plusieurs fonctionnaires du pénitencier d'Attica, mais le gouverneur de l'Etat de New York s'en moque. Il envoie l'armée qui a l'ordre de tirer à volonté. Bilan : 39 morts dont 10 gardiens de prison !
Cet épisode désastreux de l'histoire américaine a profondément marqué Archie Shepp. Il avait alors 34 ans et sa conscience politique s'affirmait chaque jour davantage. C'est avec la sagesse de l'artiste aguerri et du citoyen engagé qu'il analyse aujourd'hui les conséquences de ce drame effroyable. Même si, avec les années, Archie Shepp est devenu un homme plus sage et réfléchi, ces mots dénoncent toujours les relents racistes des ignorants et simples d'esprit. Il n'acceptera jamais d'être jugé à cause de la couleur de sa peau.
L'un des contemporains d'Archie Shepp, le réalisateur, acteur, scénariste, compositeur et producteur, Melvin Van Peebles, est l'un des grands trublions de la contre-culture américaine. Comme Archie Shepp, il a toujours cherché à donner du sens à ses œuvres, à provoquer des réactions, à interroger la grande Amérique. Comme Archie Shepp, il a trouvé en France une écoute et un intérêt pour l'histoire du peuple noir. Et Archie Shepp ne cache pas son goût pour le patrimoine de son aîné.
Le 8 septembre 2015, à la Villette à Paris, Archie Shepp et Melvin Van Peebles vont enfin se retrouver sur une scène, ensemble, dans le cadre d'un projet initié par un groupe londonien de jazz funk électro, The Heliocentrics, emmené par le batteur et producteur Malcolm Catto. Une occasion unique de réaffirmer l'impérieuse nécessité de rester insoumis quand des valeurs humaines sont bafouées ou ignorées.