
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
Retrouvez la playlist de l'Épopée des musiques noires sur Deezer
Souvenons-nous d’Elvin Jones
Il y a 15 ans, l’un des plus fougueux batteurs de jazz nous quittait. Elvin Jones s’était notamment illustré dans le fameux quartet du saxophoniste John Coltrane au début des années 1960. Avant cet épisode glorieux, il avait déjà brillé aux côtés des plus illustres solistes de l’histoire du jazz, dont Miles Davis et Sonny Rollins. Pendant plus de 50 ans, ce géant de "L’Épopée des Musiques Noires" fut le gardien d’une pulsion africaine ancestrale qu’il savait magnifier à chacune de ses prestations. Le 18 mai 2004, le rythme incessant de son grand cœur l’emmena au-delà. Il avait 76 ans.
Elvin Jones a marqué les esprits tout au long du XXe siècle grâce à un jeu très dynamique, sauvage, inventif et imprévisible. Né à Pontiac (Michigan), le 9 septembre 1927, le petit Elvin, benjamin d’une famille de 10 enfants, entend très tôt à la radio la musique dansante des big bands d‘antan, ceux de Duke Ellington, Cab Calloway, Jimmy Lunceford ou Benny Goodman, sans imaginer une seconde qu’il deviendra lui-même un instrumentiste de renom, quelques décennies plus tard. À l’aube des années 30, il n’est qu’un gamin plein d’énergie, insouciant, plutôt espiègle qui, déjà, montre un certain goût pour les percussions de toutes sortes.
Elvin Jones fut donc un enfant du swing, mais l’évolution du jazz au tournant des années 40 va le propulser dans un univers sonore plus rude, le Be Bop ! Cette forme d’expression là est une réponse à l’inertie des grandes formations perçues comme vieillissantes par de jeunes loups intrépides, les Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk… Désormais, les orchestres de jazz se composent de 4 ou 5 musiciens et interprètent un répertoire sérieux, exigeant, presque rebelle à une époque où la ségrégation raciale pénalise le devenir des Noirs américains.
Elvin Jones est un adolescent lorsque la mutation du jazz se produit. Il observe ses contemporains redessiner le paysage musical d’alors. Il vit entre deux révolutions, le swing des aînés et le Be Bop de la génération montante à laquelle il s’identifie progressivement. Il écoute attentivement et propose ses services dans les clubs de New York. Il se rend bien compte que les temps changent et que les jeunes virtuoses auxquels il s’adresse sont de futurs grands. Elvin Jones finira par enregistrer avec Miles Davis en 1955. Ce sera le début d’une longue série de collaborations avec de prestigieux artistes. On l’entendra en compagnie de Sonny Rollins, Wayne Shorter, Ornette Coleman, Randy Weston et tant d’autres, mais ce que l’on retiendra de son épopée sera son association avec l’immense John Coltrane.
Pendant 6 ans, de 1960 à 1966, Elvin Jones va participer à une aventure musicale inédite portée par les fulgurances d’un saxophoniste véritablement habité, dont la boulimie créative et l’intense spiritualité vont bousculer l’histoire du jazz alors que la société traverse une période de troubles profonds. L’Amérique noire se soulève et, même s’ils ne veulent pas inscrire leurs œuvres dans une fronde politique, les trois musiciens (Elvin Jones, Mc Coy Tyner, Jimmy Garrison) qui accompagnent John Coltrane dans sa quête de liberté absolue sont, bon gré mal gré, les témoins et acteurs du combat de la communauté afro-américaine pour une égalité de droits.
La condition d’homme noir aux États-Unis est définitivement liée à l’histoire de l’esclavage. Elvin Jones exprimait ses frustrations, sa rage, dans des solos parfois très longs qui furent analysés, étudiés, commentés par de nombreux musicologues et instrumentistes avertis. La source africaine de son jeu était indéniable. Il le reconnaissait lui-même.
À la fin de sa vie, après avoir fait paraître une bonne cinquantaine d’albums sous son nom, et participé à plus de 140 enregistrements, Elvin Jones continuait à regarder vers l’avenir. Il s’intéressait à la jeune génération mais, plutôt que de l’aider à développer son art, il préférait considérer que tous ces jeunes qu’il avait croisés au fil du temps étaient le sel de son existence. Il se reposa d’ailleurs sur certains d’entre eux pour trouver un second souffle. Le saxophoniste Chico Freeman n’avait pas 30 ans lorsqu’il eut l’opportunité, en 1978, d’enregistrer son premier disque sous l’impulsion de son mentor, Elvin Jones. 35 ans plus tard, il lui rendit hommage sur scène et sur disque. Chico Freeman a aujourd’hui 70 ans et n’a jamais oublié le soutien discret de son chaperon. Elvin Jones a été et restera l’un des grands artisans du tempo jazz africain-américain. Ne l’oublions pas !