
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
Retrouvez la playlist de l'Épopée des musiques noires sur Deezer
Commémoration 2019 : Kind of Blue, le chef-d’œuvre de 1959 !
Du 11 août au 1er septembre, L'épopée des musiques noires propose une série d'émissions consacrée aux grandes commémorations de 2019.
Les 2 mars et 22 avril 1959, Miles Davis enregistre, à 33 ans, ce qui deviendra le best-seller de l’histoire du jazz. L’album Kind of Blue est un chef d’œuvre dont la mystérieuse langueur a suscité de nombreux commentaires. Pourquoi ce disque a-t-il fasciné des générations d’amateurs de jazz ? Sont-ce les interprètes, les choix harmoniques, l’univers sonore d’alors ? Peut-être tout cela à la fois… Entouré de John Coltrane, Jimmy Cobb, Wynton Kelly, Bill Evans, Paul Chambers, Julian Cannonball Adderley, le jeune trompettiste se laisse porter par une humeur blues pesante qui ensorcèle l’auditeur.
Le label Columbia Records a fait paraître ce printemps une nouvelle édition de ce disque légendaire agrémentée des conversations, en studio, entre les musiciens et les producteurs, Irving Townsend et Téo Macero. Une occasion magique de se retrouver dans le grand studio Columbia de la 30e rue à New York et de comprendre la genèse d’une pièce maîtresse de « l’épopée des musiques noires ». Lorsque Miles Davis fait paraître l’album Kind of Blue, le 17 août 1959, son intention de dépasser le cadre strict du jazz est frappante. Il veut donner à sa musique une dimension universelle qui échapperait aux classifications afro-américaines habituelles. À cette époque, il est déjà un chef d‘orchestre reconnu et un instrumentiste respecté qui peut légitimement s’adjoindre les services de solistes réputés et d’arrangeurs issus d’horizons très divers.
En choisissant de travailler avec le pianiste Bill Evans, il sait qu’il donnera à son répertoire ces fameuses couleurs harmoniques qui le distinguent de ses homologues jazzmen. Déjà, avec Gil Evans, lors de l’enregistrement de Miles Ahead (1957) et Porgy & Bess (1958), il avait imprimé cette somptueuse musicalité qui le hissait au rang des grands interprètes classiques. Ainsi, à l’aube des années 60, Miles Davis veut sortir du cadre et élever son art. La société ségrégationniste d’alors lui rappellera pourtant bien vite qu’il n’est qu’un noir dans une Amérique raciste. Le 25 août 1959, alors qu’il fume une cigarette à l’extérieur d’un club de jazz de New York, le fameux Birdland, où il se produit, il se fait molester et arrêter par un policier blanc trop zélé. Cet incident renforcera sa détermination de gagner le respect de ses contemporains par des œuvres irréprochables.
Après Kind of Blues, Miles Davis réaffirmera son désir de rester un homme libre de ses choix. Sketches of Spain (1960) tutoiera le patrimoine orchestral européen et déjouera les codes culturels de la communauté noire. Une fois encore, l’esprit frondeur de Miles Davis l’emportera sur les critiques et les interrogations. Au tournant d’une décennie qui, on le sait, sera très agitée, sa clairvoyance et son intelligence devanceront avec finesse les mouvements de contestation d’une population trop longtemps bâillonnée. Kind of Blue fut peut-être le signe avant-coureur d’une révolution sociale et artistique majeure.