
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
Retrouvez la playlist de l'Épopée des musiques noires sur Deezer
Hank Jones, le gentleman virtuose
Au mois d’août 2020, L’épopée des Musiques Noires déroule le tapis rouge aux grandes figures du jazz d’hier et d’aujourd’hui. Notre série, « Les Étoiles du Jazz », richement illustrée de témoignages inédits, dessinera le portrait de quelques icônes dont l’engagement artistique a accompagné les mutations sociales au XXème siècle.
Il y a 10 ans, le pianiste Hank Jones nous quittait à l’âge de 91 ans. Son épopée épouse toute l’histoire du peuple noir américain au XXème siècle. Né en 1918 à Vicksburg (Mississippi) dans le Sud ségrégationniste, il grandira à Pontiac (Michigan) où la vie lui paraissait plus clémente. Là, il entendra la musique swinguante de ses aînés et ne tardera pas à se lancer dans un apprentissage effréné du jazz. Partenaire d’Ella Fitzgerald, Coleman Hawkins, Charlie Parker, entre autres, il trouvera en Cheick Tidiane Seck, l’alter ego qui le rapprochera de ses racines africaines ancestrales. Ensemble, ils réaliseront le légendaire album Sarala, paru il y a 25 ans !
Au tout début du XXème siècle, aux États-Unis, le jazz n’est pas encore le genre musical en vogue. Louis Armstrong est un gamin et les Miles Davis et John Coltrane n’existent pas encore. À l’époque, c’est un mélange de fanfares militaires et de Ragtime qui anime le quotidien de la communauté afro-américaine. À cette époque, les citoyens noirs doivent se plier aux injonctions de riches familles blanches qui les emploient, sans grands écarts, dans les champs de coton dont ils sont propriétaires depuis le temps de l’esclavage. L’abolition de cette servitude en 1865 n’aura que peu d’effets sur le terrain et les exactions, humiliations et brimades, se poursuivront pendant des décennies. Conscients du peu d’avenir que leur réservent les lois racistes du sud des États-Unis, les parents du petit Hank Jones décident de déménager et de s’installer plus au nord. C’est là que débute véritablement l’aventure musicale du jeune pianiste.
"Je n’ai jamais vraiment décidé d’être musicien. Mon goût pour la musique s’est développé de manière graduelle. Cela a pris plusieurs années. Il y a toujours eu de la musique à la maison, nous avions beaucoup de disques, les cassettes n’existaient pas encore. Ma mère jouait du piano, mon père de la guitare et mes deux sœurs suivaient l’exemple. La musique m’influençait déjà, je ne pensais pas devenir un jazzman, mais j’écoutais de plus en plus de disques et, notamment, Fats Waller, Duke Ellington et des musiciens de blues. La présence d’un piano à la maison a été déterminante."
Dans les années 50, Hank Jones a acquis une réputation de brillant accompagnateur et se retrouve aux côtés des plus grands. Il croise notamment la route d’un clarinettiste et chef d’orchestre de renom qui s’était fait remarquer en janvier 1938 à Carnegie Hall, à New York, en présentant une formation composée de musiciens blancs et noirs. Une première pour l’époque ! Ce musicien très progressiste s’appelait Benny Goodman. Il fut un partenaire de choix pour le pianiste en vogue que devenait Hank Jones, et l’accueillera à bras ouverts dans la grande famille du jazz. Charlie Parker, Ella Fitzgerald, Coleman Hawkins, entre autres, profiteront des mélodieuses improvisations du nouveau venu… Son statut de jeune virtuose fort sollicité le mène jusque sur la scène du Madison Square Garden de New York où il accompagne Marilyn Monroe, lors de la fameuse soirée anniversaire du président Kennedy, le 19 mai 1962.
Au fil des années, le gentleman pianiste veillera à maintenir cette aura qui lui sied à merveille et se fera un malin plaisir à multiplier les séances de studio avec des instrumentistes de haute volée. Les anciens musiciens de Miles Davis (Ron Carter, Tony Williams, Jimmy Cobb), seront ses nouveaux acolytes et participeront avec gourmandise aux ornementations jazz inspirées du maestro. Le temps fera son œuvre et Hank Jones sera progressivement perçu comme le patriarche qui défie les modes.
À la fin de sa vie, il se passionnera pour ses racines ancestrales et acceptera l’invitation de son homologue malien Cheick Tidiane Seck pour l’enregistrement de l’album Sarala en 1995. Un quart de siècle plus tard, les deux complices se retrouveront pour un ultime échange sur scène à Paris, lors du festival Jazz à la Villette. Huit mois plus tard, Hank Jones s’en allait. Sa vie fut un véritable roman et son témoignage restitué aujourd’hui devient l’écho d’un temps, certes, révolu mais si palpitant.