Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.

Réalisation : Nathalie Laporte
Retrouvez la playlist de l'Épopée des musiques noires sur Deezer

 

En savoir plus sur l'émission, les horaires, le calendrier ... En savoir plus sur l'émission

De John Coltrane à Kendrick Lamar

Kendrick Lamar en concert au Festival d'été de Québec (Canada), le 7 juillet 2017. © Redferns - Ollie Millington/Getty images

Autrefois, le free jazz sonnait l’alarme et dénonçait l’immobilisme créatif et social de la grande Amérique. 50 ans plus tard, la fronde est toujours aussi vivace mais s’exprime avec les outils d’aujourd’hui, les acteurs d’aujourd’hui, les courants et modes d’aujourd’hui. En 1987, un futur et brillant orateur voyait le jour à Compton en Californie. Kendrick Lamar Duckworth allait devenir un artisan de la rébellion afro-américaine. Son intelligence, cadencée par des mots cinglants et réfléchis, a touché la fibre contestataire de toute une génération. Le journaliste Nicolas Rogès lui consacre un ouvrage complet, Kendrick Lamar, de Compton à la Maison Blanche, disponible aux Éditions "Le Mot et le Reste".

Il n’a que 33 ans, mais son aura dépasse largement l’univers du rap. Kendrick Lamar aurait pu, comme nombre de ses contemporains, se laisser emporter par un mal-être qu’une société inégalitaire impose aux populations fragilisées par une discrimination institutionnalisée. Pourtant, il parvint à résister à l’engrenage de la violence et des confrontations stériles de bandes rivales dans les banlieues déshéritées des années 1990. Esprit vif, Kendrick Lamar a très vite perçu le piège de répondre aux intimidations. Il comprit l’absolue nécessité de s’élever au-delà des stéréotypes et réflexes culturels. S’il batailla ferme pour ne pas être la victime d’un système économique cruel, il ne réfute cependant pas ses origines et honore même ses racines dans son discours et ses œuvres. Nourri par le répertoire de ses aînés, les pionniers de la culture hip hop, les Dr Dre, 2Pac et Ice Cube, il a su rester curieux et attentif aux différentes formes d’expression de la communauté africaine-américaine. 

© RFI/Joe Farmer
Le livre de Nicolas Rogès paru aux éditions "Le Mot et Le Reste".

 

Bien que le jazz ne semblait pas être une source d’inspiration évidente pour ce jeune rappeur biberonné à la Soul-Music qu’écoutait quotidiennement son père, les circonvolutions de John Coltrane et les conseils de quelques instrumentistes émérites, dont Terrace Martin, le propulsèrent dans un monde qu’il ne soupçonnait pas. La clairvoyance de Kendrick Lamar lui permit de fusionner tous ces échos sonores échappés de "L’épopée des Musiques Noires" pour s’en approprier la sève et la magnifier. "To Pimp a Butterfly" fut, sans nul doute, l’un des albums majeurs de 2015 et reste le point d’ancrage d’un artiste à la recherche d’un idéal artistique que sa jeunesse malmenée aurait pu pervertir. Sa verve et son désir ardent de s’extirper d’une destinée trop souvent caricaturée le hissent au rang des poètes de l’ère moderne. Il reçoit même le prix Pulitzer en 2018 ! 

L’évolution progressive de Kendrick Lamar vers une maturité intellectuelle unanimement reconnue épouse précisément ses rencontres et voyages. Son séjour en Afrique du Sud en 2014 sera certainement l’une des expériences humaines marquantes et enrichissantes pour ce jeune Américain noir alors en quête d’identité et de repères historiques tangibles. Visiter la cellule de Nelson Mandela fut une épreuve utile, une mise en perspective de ses propres tourments intimes confrontés à la réalité de l’emprisonnement physique et cérébral. Dès lors, Kendrick Lamar, déjà très conscient des affres du peuple noir, grandit encore un peu plus et révèle une acuité citoyenne que ses productions toujours plus explicites ne démentent pas. 

© WireImage - Rick Kern/Getty images
Kendrick Lamar en concert à Austin (Texas) à Zilker Park, le 8 octobre 2016.

 

Qu’il est surprenant de lire un ouvrage entier consacré à un jeune trentenaire dont le développement artistique et l’examen de conscience ne sont pas achevés. C’est le défi que s’est lancé Nicolas Rogès, lui-même trentenaire, dont l’expertise suit le cheminement d’une génération rebelle, inquiète, militante, qui redessine les contours de notre époque troublée. 

Le site de Kendrick Lamar 

Le site de Nicolas Rogès

Kendrick Lamar, de Compton à la Maison Blanche (éditions Le Mot et le Reste)