Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.

Réalisation : Nathalie Laporte
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Coleman Hawkins nous parle…

Coleman Hawkins, 1960. © Herb Snitzer/Michael Ochs Archives/Getty Images

Il y a 100 ans, le saxophoniste Coleman Hawkins faisait ses premières armes au sein de l’orchestre de la chanteuse Mamie Smith. Il avait 17 ans. Il deviendra l’une des légendes du jazz au cœur du XXe siècle en imprimant une tonalité langoureusement acrobatique qui fera sa gloire. Sa version du classique "Body & Soul" en 1939 sera son sésame vers la reconnaissance unanime. En 1956, Coleman Hawkins accorda une interview aux journalistes Bill Grauer et Paul Bacon. Édité à l’époque en double disque vinyle par le label Riverside Records, ce document sonore reste un témoignage unique trop peu entendu, mais tellement enrichissant.

Lorsque Coleman Hawkins voit le jour le 21 novembre 1904, le rock, la soul, le funk, le rythm & blues, le hip-hop, n’existent pas, même le jazz reste une forme d’expression confidentielle. À Saint-Joseph dans le Missouri où le petit Coleman "Randolph" Hawkins grandit, ce sont les Cake-Walks et le Ragtime qui rythment le quotidien de la société américaine toujours très réfractaire à l’idée de donner un statut équitable à la population noire. C’est dans cette ambiance délétère, égayée parfois par le swing d’une musique en pleine gestation, qu’un futur grand saxophoniste attend de se révéler. Si le jazz n’est pas encore un vocabulaire musical très structuré au début du XXe siècle, le blues rural sudiste est très représentatif de la condition des Noirs aux États-Unis. C’est la complainte de l’esclave que l’on entend à travers ces chants lancinants qui hurlent la douleur de la communauté africaine-américaine malmenée depuis déjà 300 ans.

Dans les années 1920, Coleman Hawkins est un adolescent fougueux qui, déjà, s’illustre dans des orchestres en vogue comme celui de la chanteuse Mamie Smith ou celui du pianiste et chef d’orchestre Fletcher Henderson qui se félicite d’accueillir, dans sa rutilante section de cuivres, ce jeune saxophoniste de 22 ans que l’on promet à un grand avenir. Le swing des big bands, hérité des fanfares de La Nouvelle-Orléans, commence à entrer dans le paysage musical américain d’alors. Louis Armstrong devient une figure marquante et Coleman Hawkins se nourrit de ce bouillonnement sonore enthousiasmant. Il développe imperceptiblement sa musicalité en compagnie de ses contemporains. Stump Evans fut l’un d’eux, mais sa destinée fut celle d’une comète. Il disparut en 1928, à l’âge de 24 ans, victime d’une tuberculose que l’on ne soignait guère à l’époque. Comme Coleman Hawkins, il était né en 1904 et devenait un instrumentiste très audacieux au point de séduire le cornettiste et chef d’orchestre Joe Oliver.

© Metronome/Getty Images
Le saxophoniste de jazz américain Coleman Hawkins, avec son groupe sur scène, dans les années 1950.

Évoquer l’épopée de Coleman Hawkins, c’est également voyager dans le temps, découvrir des personnalités intrépides, les Louis Armstrong, Fletcher Henderson, Jack Teagarden, qui tenaient tous un rôle essentiel dans l’évolution du jazz. Coleman Hawkins suivait leur exemple. Au cœur des années 30, il gagne en maturité artistique et se décide enfin à monter son propre orchestre. Toujours à l’affût de nouvelles expériences, son envie de découvrir d’autres territoires musicaux le pousse à traverser les océans. Il se rend en Europe où il enregistre avec les musiciens locaux. À Paris, le 2 mars 1935, il enregistre le titre Stardust avec Stéphane Grappelli et Django Reinhardt. Il restera de longs mois sur le vieux continent avant que la montée du fascisme ne le persuade de rentrer aux États-Unis. Pendant son absence, le jazz a progressé et de nouvelles têtes sont apparues. Coleman Hawkins découvre, à son retour aux États-Unis, qu’un certain Lester Young a désormais les faveurs du public et lui fait de l’ombre. Il n’a cependant pas dit son dernier mot et immortalise, en 1939, le titre qui fera sa gloire : Body & Soul. Sa tonalité veloutée le lisse subitement au rang des grands solistes du jazz et inspire de très nombreux saxophonistes dont l’illustre Sonny Rollins qui l’invitera en 1963 sur l’un de ses albums. Il ne sera pas le seul à souhaiter dialoguer en studio avec le patriarche du saxophone ténor, Duke Ellington lui-même convie Coleman Hawkins à enregistrer un album entier en 1962. 

The Hawk, tel que le surnommaient ses colistiers, a traversé 50 ans de l’histoire du jazz, un demi-siècle crucial puisqu’il vit la naissance du swing, l’arrivée du be-bop et l’enrichissement progressif de ce qu’on appelle désormais la musique classique afro-américaine. Coleman Hawkins avait les oreilles grandes ouvertes et les rythmes latins ou africains l’intéressaient. En 1962, il s’asseyait d’ailleurs à la Bossa Nova sur l’album Desafinado. Ce ne fut certainement pas son plus grand album, mais il témoigne de son désir de renouvellement perpétuel. Disparu en 1969, Coleman Hawkins aura été un acteur et témoin privilégié d’une révolution musicale qui continue de nous passionner aujourd’hui. Il aura croisé la route de légendes comme Count Basie, Louis Armstrong, Duke Ellington mais aussi de jeunes talents nommés Thelonious Monk, Dizzy Gillespie, Max Roach ou Tommy Flanagan, qui fut son pianiste au tournant des années 60, et qui ne tarissait pas d’éloges à son égard. 

La fabuleuse aventure musicale de Coleman Hawkins débuta, il y a 100 ans. C’était hier… 

→ Discographie de Coleman Hawkins

© CORBIS/Corbis via Getty Images
Les musiciens Louis Armstrong, Roy Eldridge, Coleman Hawkins, Barney Bigard, and Jack Teagarden, pendant un concert.