Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.

Réalisation : Nathalie Laporte
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Messieurs, les censeurs…

Marian Anderson sur les marches du Lincoln Memorial lors du concert en plein air du dimanche de Pâques en 1939. © GettyImages/Bettmann/Contributeur

De tous temps, l’incompréhension et la méfiance ont conduit des pouvoirs autoritaires à censurer des œuvres et à museler des artistes. Le label Frémeaux & Associés a fait paraître, ce printemps, un triple album passionnant dont la simple écoute nous alerte sur les dérives des politiques culturelles étriquées. Philippe Lesage, l’un des maîtres d’œuvre avec Teca Calazans de cette anthologie édifiante, nous conte, cette semaine, "l’Épopée" de musiciens bannis, rejetés, bâillonnés, pour n’avoir pas suivi les règles d’une société intolérante.

Si la censure concerne des créateurs de tous horizons, la communauté africaine-américaine fut plus durablement et brutalement réduite au silence. Il fallait beaucoup de courage pour oser défier les autorités et dénoncer les exactions. Au péril de leur vie, les musiciens et interprètes de la culture noire ont résisté et fait naître un élan de contestation irrésistible. Lorsque Billie Holiday s’autorisait à chanter Strange Fruit, un poème contestataire d’Abel Meeropol, en 1939 au Cafe Society à New York, elle avait pleinement conscience de s’attirer les foudres des membres du Ku Klux Klan, mais elle ne recula pas devant le danger et fit de cette œuvre un hymne rebelle et frondeur. En cette même année 1939, une autre reine de l’art vocal obtint une victoire contre les élans réactionnaires d’une Amérique pudibonde. Face aux intimidations d’une frange de la population, elle parviendra à se produire, avec le soutien de la première dame, Eleanor Roosevelt, devant la statue d’Abraham Lincoln à Washington en présence de 75 000 spectateurs !

© Joe Farmer/RFI
Philippe Lesage, auteur de "La Censure, les musiciens face au pouvoir politique".

 

Au début des années 50, son alter ego masculin, le chanteur, acteur, athlète et activiste, Paul Robeson, affrontera lui aussi les tentatives de censure du pouvoir en place. Jugé trop complaisant avec l’idéologie communiste, son passeport lui sera confisqué et cette sentence lui interdira tout voyage au-delà des frontières américaines. Ses œuvres ne seront plus diffusées sur les grands médias nationaux et son image sera malmenée par ses opposants, au premier rang desquels, le sénateur Joseph McCarthy. La pression de l’administration américaine sur la population d’origine africaine fut intense et massive. Pourtant, le combat pour une justice sociale ne fut pas vain. Nombre d’exemples, à travers les décennies, démontrent que les partisans d’une égalité citoyenne étaient bien plus nombreux que ne le laissaient entendre les porte-paroles des institutions politiques.

© Keystone Features/Hulton Archive/ Getty Images
Le chanteur Paul Robeson devant un piano lors d'une discussion sur son rôle de "Othello" dans la pièce de Shakespeare du même nom, à Stratford-Upon-Avon, Angleterre, le 22 juillet 1958.

 

Blancs et Noirs ont, de longue date, échangé, conversé, sympathisé, malgré les interdictions, brimades et humiliations. Le téméraire chef d’orchestre et clarinettiste, Benny Goodman, osa d’ailleurs présenter, en 1938, une formation multicolore dans la prestigieuse salle de Carnegie Hall, à New York. Un exploit et un risque majeur à une époque où la ségrégation était encore tristement la norme. Rappelons que le mouvement des droits civiques ne débutera que 20 ans plus tard ! Chaque artiste, dont les racines identitaires ne convenaient pas aux descendants de colons européens, était pointé du doigt et mis en marge de la société américaine dite "libre". Se plonger dans cette histoire peu glorieuse nous rappelle combien la tentation de faire taire un adversaire ou un opposant est une solution de facilité qui n’engendre que la défiance, les dissensions, l’incompréhension et, à terme, une haine viscérale et infondée. Alors que le monde semble à nouveau se fracturer, réécouter la bande son d’un passé imparfait est une leçon dont nous devrions tous nous inspirer.

La Censure – Les musiciens face au pouvoir politique – 1929/1962 est édité chez Frémeaux & Associés.

© Frémeaux & Associés
Coffret 3 CDs "La Censure, les musiciens face au pouvoir politique".