
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
Retrouvez la playlist de l'Épopée des musiques noires sur Deezer
Henry Vestine… 25 ans après!
Au mois d’août, nous vous proposons une série estivale consacrée aux grandes figures de "L’épopée des Musiques Noires" disparues il y a 25 ans !
À la fin des années 60, le mouvement psychédélique inonde le marché discographique américain. La fusion des genres est la priorité des créateurs qui ne s’imposent aucune limite. Le blues, le rock, le jazz ne font plus qu’un dans cet univers d’expérimentations intensives et débridées. Cinq jeunes gens amateurs de blues imaginent revitaliser le répertoire de leurs aînés afro-américains. Ces cinq musiciens encore peu expérimentés viennent de créer le groupe Canned Heat. C’est une chanson folk électrique qui fera leur gloire dès 1968. On the Road Again devient un classique et le nom d’Henry Vestine entre dans la légende.
Nous sommes au milieu des années 40 aux États-Unis, le petit Henry Charles Vestine vient de naître et grandira dans l’Amérique blanche d’après-guerre. Son environnement sonore n’entre pas franchement dans L’épopée des musiques noires mais, imperceptiblement, son oreille de futur instrumentiste capte le son des guitares, et plus précisément, celui du blues et de la country music que l’on joue dans les campagnes américaines. Il ne s’en rend pas vraiment compte, mais il développe inconsciemment un intérêt pour les musiques traditionnelles de ses aînés. À l’école, avec son camarade John Fahey, il découvre le blues rural de John Lee Hooker. Cette musique authentique, et si représentative de la réalité sociale de la communauté noire aux États-Unis, le captive. Il se passionne pour ce patrimoine que l’Amérique d’alors considère comme secondaire et sans grand intérêt. Durant les années 40 et 50, la ségrégation est tristement la norme outre-Atlantique et la culture africaine-américaine née à l’époque de l’esclavage ne doit pas être exposée à grande échelle. Pourtant, le jeune Henry Vestine, issu d’une famille blanche de classe moyenne installée à Washington, brave les interdits et écoute avec gourmandise les disques de « Race Music », la « musique raciale » comme on la nommait alors.
À l’aube des années 60, la famille Vestine déménage en Californie. Tandis que son père devient un géologue et astronome reconnu (un cratère sur la Lune portera d’ailleurs son nom), Henry Vestine monte son premier groupe. Il a 17 ans et commence à se produire dans les clubs locaux souvent fréquentés par le public afro-américain. Comme tout adolescent rebelle, il veut vivre à 100 kilomètres-heure, tenter des expériences et se laisser guider par ses envies et ses excès. Les premiers tatouages, les premières substances illicites, les premières dérives, orientent sa destinée sur un chemin scabreux, mais sa vitalité de jeune homme fougueux ne l’alerte pas encore sur les risques d’une vie trop trépidante. Il préfère se consacrer à la musique sans penser au lendemain. Son nouveau coup de cœur s’appelle Skip James. Ce bluesman originaire du Mississippi est, pour lui, un pionnier incontournable qu’il veut à tout prix rencontrer. En juin 1964, il se rend à Tunica dans le Mississippi et parvient à converser avec son héros. Skip James a alors 62 ans, est malade, mais accueille avec bienveillance le jeune Henry Vestine, 20 ans, qui le bombarde de questions. Skip James décèdera cinq ans plus tard et Henry Vestine gardera un souvenir ému de cette rencontre inopinée dans un hôpital de Tunica.
Les années passent et le paysage musical se transforme. Un guitariste et chef d’orchestre fort talentueux travaille alors sur un projet ambitieux. Il s’appelle Frank Zappa. Il veut révolutionner la société à travers une prise de conscience que sa musique doit porter. Pour cela, il a besoin de jeunes virtuoses capables de magnifier ses compositions. Henry Vestine, qui se destine au blues, reçoit une offre qui va le décontenancer. Il tentera d’honorer l’invitation de l’intrépide Frank Zappa, mais choisira finalement de poursuivre sa route tandis que son éphémère colistier deviendra une figure imminente de la contre-culture américaine. Après cette parenthèse hasardeuse, Henry Vestine se lancera dans une autre aventure qui fera sa renommée, le groupe Canned Heat.
Henry Vestine ne restera que quatre ans dans dans cette formation préférant s’adonner à un blues plus sincère en compagnie de ses héros que sa jeune notoriété lui permet désormais de côtoyer. En quittant le groupe Canned Heat en 1969, il rate l’occasion de briller au festival de Woodstock. Qu’importe, il retrouvera ses amis quelques années plus tard pour l’enregistrement d’un disque en présence du patriarche, John Lee Hooker. Henry Vestine acceptera ponctuellement de rejoindre ses anciens partenaires, mais ses aspirations l’éloigneront progressivement du star-system. L’un de ses derniers albums, Guitar Gangsters, parut en 1991. Avec son homologue Evan Johns, il avait voulu renouer avec le blues électrique d’autrefois. Henry Vestine nous a malheureusement quittés le 20 octobre 1997 dans un hôtel parisien victime d’une crise cardiaque à 52 ans. La veille, il était encore sur scène à Gouvy en Belgique…