Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.

Réalisation : Nathalie Laporte
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Terence Blanchard entre à l’opéra

Terence Blanchard en concert à Marseille, le 19 juillet 2022. © Clara Lafuente/MJ5C 2022

Tout au long de l’été, le trompettiste néo-orléanais Terence Blanchard a accompagné l’illustre Herbie Hancock lors d’une tournée européenne imposante. Au-delà de ses exploits scéniques aux côtés du patriarche, il est aussi un formidable compositeur et chef d’orchestre dont l’activisme manifeste nourrit les œuvres. Rencontré le 19 juillet 2022 lors du Marseille Jazz des Cinq Continents, Terence Blanchard nous a fait part de sa fierté mais aussi de son regret d’être le seul Afro-américain à avoir présenté au Metropolitan Opéra de New York une pièce lyrique, « Fire shut up in my bones », désormais disponible en téléchargement légal.

Terence Blanchard a en lui l’héritage d’une culture centenaire qu’il fait évoluer depuis le début de sa carrière à l’aube des années 80. À 60 ans, il est un instrumentiste très respecté. Terence Blanchard a fait ses premières armes au sein des orchestres de Lionel Hampton et d’Art Blakey. Il devient l’un des Jazz Messengers en 1982, une véritable institution qui a vu passer les plus grands solistes de l’histoire du jazz, Wayne Shorter, Lee Morgan, Freddie Hubbard, Donald Byrd, Benny Golson, les frères Marsalis (Branford et Wynton), Donald Harrison, entre autres… Cette expérience va profondément le marquer, mais d’autres aventures l’attentent et, notamment, une rencontre. Il fait la connaissance, au tournant des années 90, du réalisateur Spike Lee qui lui confie très vite la bande-son de ses premiers films dont « Mo Better Blues ». 

La complicité qui naît entre Spike Lee et Terence Blanchard les conduit à collaborer davantage. Jusqu’à aujourd’hui, ces deux exigeants créateurs partagent une vision artistique et politique de leur époque qui s’exprime dans leurs œuvres et leurs prises de position. Terence Blanchard, comme son ami Spike Lee, ne cache pas son agacement quand la vie de ses contemporains est menacée quotidiennement par un racisme violent qui gangrène la société américaine depuis des décennies. Son groupe E-Collective est sans doute l’affirmation de son engagement citoyen. Dans chacune de ses productions discographiques ou scéniques, Terence Blanchard alerte sur les discriminations et les injustices. « ​C’est quelque chose que j’ai en moi depuis très longtemps. Et je ne suis pas le premier à dénoncer les dérives de la société… Souvenez-vous de « Freedom Now ! » par Max Roach, « Alabama » par John Coltrane, et je pourrais continuer ainsi la liste… Il se trouve seulement que j’entre dans la continuité de cette rébellion et il m’est impossible de fermer les yeux sur le passé et sur ce que je vis aujourd’hui. C’est l’ouragan Katrina, en 2005 à la Nouvelle-Orléans, qui m’a fait réagir. J’ai eu le sentiment que le gouvernement nous avait totalement abandonnés. Aucun officiel ne prenait la parole, ni ne se préoccupait de la souffrance de la population. Il fallait que je m’implique davantage. Puis, les choses ont dégénéré. Le problème des armes à feu s’est accentué aux États-Unis. On a tout de même vu récemment, dans un pays dit libre, des policiers abattre de sang-froid des citoyens américains à cause de la couleur de leur peau. On a beaucoup parlé de Donald Trump ces dernières années, mais le problème des violences policières n’est pas nouveau. Il n’est toujours pas réglé aujourd’hui. Il faut donc continuer à en parler ». (Terence Blanchard au micro de Joe Farmer)

© Joe Farmer/RFI
Terence Blanchard à Marseille avant son concert avec son ami Herbie Hancock.

 

Même si le propos contestataire de Terence Blanchard n’est pas unanimement apprécié aux États-Unis, son talent est incontestable et lui a déjà valu cinq Grammy Awards. Sa dernière grande folie créative est donc un opéra, « Fire shut up in my bones », présenté au MET en 2021. Outre le fait que cette imposante pièce lyrique est la première composée par un Africain-Américain dans cette salle de spectacle prestigieuse, elle raconte l’histoire d’un homme noir, pauvre, abusé sexuellement par son propre cousin, qui cherchera toute sa vie un moyen de résister à la vengeance.    

Depuis plus de 40 ans, Terence Blanchard n’en finit plus de nous surprendre et de nous charmer. Homme affable, interlocuteur loquace, il est un activiste convaincu qui exprime en musique ses tourments et ses réflexions toujours dans un esprit d’apaisement. « Nous faisons tous partie de l’humanité quel que soit l’endroit où nous sommes nés. Le monde est un petit bout de terre dans l’univers. Il faut donc apprendre à vivre ensemble et à accepter nos différences. Il faut même se réjouir de ces différences car chacun de nous apporte sa spécificité. C’est plutôt enrichissant, non ? Pourquoi s’inquiéter de celui qui ne vous ressemble pas et être sur la défensive ? ». (Terence Blanchard – Juillet 2022).

► Le site de Terence Blanchard.

 

© Clara Lafuente/MJ5C 2022
Herbie Hancock, Lionel Loueke, Terence Blanchard, James Genus, Justin Tyson, lors du Marseille Jazz des Cinq Continents 2022.