Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.

Réalisation : Nathalie Laporte
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Hommage à Ramsey Lewis

Ramsey Lewis, 1970. © Michael Ochs Archives/Getty images

Ramsey Lewis nous a quittés, le 12 septembre 2022, à l’âge de 87 ans. Ce brillant pianiste a écrit de longs chapitres de « L’Épopée des Musiques Noires » même si sa formation classique mâtinait davantage ses créations d’un lyrisme délicat qui identifiait sa musicalité. Depuis 1956, il n’avait quasiment jamais cessé d’enregistrer. Certains de ses albums ont d’ailleurs marqué l’histoire comme The «in» crowd en 1965, Sun Goddess en 1974 ou Time flies en 2004. Également animateur de radio, Ramsey Lewis avait accueilli, pendant 20 ans, à son micro ses amis et homologues musiciens. Ce rendez-vous fut même décliné à la télévision, au début des années 2000. Ramsey Lewis était aussi très présent sur les réseaux sociaux où il livrait des prestations inédites. Un album posthume consacré à la musique des Beatles vient de paraître et ses mémoires intitulées « Gentleman of Jazz » seront publiées en 2023. 

En dehors des États-Unis, la notoriété de Ramsey Lewis n’a pas atteint des sommets mais, dans son pays natal, il était une personnalité respectée qui avait su flairer l’air du temps et s’adapter aux époques. Ramsey Lewis a fait partie d’une génération qui a grandi dans l’univers fervent du gospel et des negro-spirituals, un patrimoine ancestral qui remonte au temps de l’esclavage quand les chants sacrés donnaient du courage et de l’espoir à la communauté noire outre-Atlantique souvent malmenée par les colons blancs racistes du sud des États-Unis. Bien qu’il soit né à Chicago, une ville du Nord plutôt épargnée par la ségrégation raciale, Ramsey Lewis a suivi l’éducation pieuse des églises baptistes et a entendu, très jeune, les cantiques noirs américains.

© Soul Train via Getty Images
Ramsey Lewis, en concert avec son trio, en 1974.

À 20 ans, Ramsey Lewis cherche encore sa voix. Il est tiraillé entre son apprentissage classique, son goût pour le jazz et l’enseignement religieux inculqué par ses aînés. Sa musique s’en ressentira tout au long de son cheminement. Elle sera teintée de swing, de virtuosité académique et d’une foi mélodieuse que ses lointaines racines africaines nourrissaient chaque jour davantage. Son statut de jeune pianiste en devenir ne lui apporte pas encore l’épanouissement personnel qui lui donnera la clé du succès. Il faut dire que l’époque est plutôt rude pour la population afro-américaine. Le mouvement des droits civiques n’a pas encore porté ses fruits. Martin Luther King n’est qu’un jeune pasteur de 25 ans dont l’aura peine à emporter l’adhésion. Jusqu’alors protégé par la cellule familiale, Ramsey Lewis réalise progressivement que la couleur de sa peau est un handicap majeur dans cette Amérique très conservatrice.

© Getty Images - Earl Gibson III
Ramsey Lewis au Festival de Jazz de Long Beach, en Californie, en 2017.

En 1963, l’effervescence populaire bouscule les institutions. La fronde des progressistes, pour que l’égalité de droits soit respectée, inquiète le pouvoir en place. Les intimidations sont quotidiennes, mais le peuple résiste et les artistes se mobilisent pour accentuer la pression sur l’administration américaine. La musique devient un vecteur d’expression, parfois sombre, parfois combatif, mais toujours exalté. Ramsey Lewis accompagne ce mouvement de contestation, mais ne devient pas un activiste politique. Il préfère œuvrer dans son domaine de prédilection : la musique. Alors, il adapte ses compositions à l’humeur de l’époque. Il veut traduire la ferveur populaire et insister sur les accents positifs de cette révolte. Son répertoire est de plus en plus enjoué et plein d’espérance. Ses souvenirs de jeune organiste durant les messes gospel de son enfance refont surface et l’incitent à garder le sourire et croire en l’avenir. Ramsey Lewis est un trentenaire curieux, vif, attentif, dans les années 60. Il écoute les Beatles, la Soul-Music de James Brown, le gospel d’Aretha Franklin et les œuvres de Brahms, de Beethoven ou de Bach. Il sent que les temps changent et que chaque mode d’expression doit être respecté. Même le free jazz de ses contemporains a droit de cité. S’il n’a jamais suivi cette voie artistique plutôt radicale, il salue et comprend l’engagement viscéral de ses homologues insoumis.

© Jack Vartoogian/Getty Images
Ramsey Lewis au Blue Note, à New York, en 2015.

Au milieu des années 70, le caméléon Ramsey Lewis a encore épousé les goûts du public et joue avec les sonorités funk en vogue grâce au renfort de ses amis du groupe Earth Wind & Fire. Rappelons que Maurice White, le fondateur d’Earth Wind & Fire, avait débuté dans l’orchestre de Ramsey Lewis en qualité de batteur. Il n’avait alors que 25 ans. Leur camaraderie ne s’est pas démentie au fil des décennies et les années d’expérimentation funk restèrent, pour Ramsey Lewis, une période faste et passionnante. Ramsey Lewis a toujours été un bon stratège. À chaque époque, il adaptait la tonalité de ses œuvres, quitte à revitaliser ses succès d’autrefois. Pour autant, il ne perdait pas de vue sa généalogie artistique. Il savait à qui il devait son succès et, bien qu’il s’en défendait, il avait le devoir d’honorer et ses aînés.

Également animateur de radio et de télévision aux États-Unis, il accueillait dans son studio les meilleurs instrumentistes du moment : Al Jarreau, Marcus Miller, George Duke, David Sanborn, Chick Corea, Robert Cray, Keb Mo, Benny Golson, Clark Terry, et Dave Brubeck, entre autres… Ramsey Lewis était une vraie personnalité qui savait rester humble et accessible. Durant la pandémie, il avait dû se résoudre à rester confiné pour se protéger d’un virus que son grand âge rendait particulièrement dangereux. Alors, pour passer le temps et garder le contact avec son public, il livrait des prestations sur les réseaux sociaux depuis son salon. Il s’était notamment amusé à réadapter, seul au piano, les compositions des Beatles. Ces relectures ont été éditées, le 30 septembre 2022, en un album posthume qui achève ainsi la destinée d’un homme de cœur, d’un pianiste aguerri, d’un interlocuteur toujours disponible… Un gentleman !

Le site consacré à Ramsey Lewis.