
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
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Ma Rainey, pionnière du blues afro-américain
Présentée comme la première chanteuse de blues de l’histoire africaine-américaine, Ma Rainey a, en tout cas, propulsé une forme d’expression héritée de la complainte des esclaves au labeur. Au début du XXe siècle, sa forte personnalité, son franc-parler, ses prestations flamboyantes, bousculent le paysage musical de la communauté noire outre-Atlantique et identifient une culture en pleine évolution. Steven Jezo-Vannier, auteur de « Ma Rainey, la mère du blues » (Ed. Le Mot et Le Reste), nous conte cette semaine les prémices d’une épopée culturelle, politique et artistique unique.
À l’aube du XXe siècle, la communauté noire aux États-Unis doit affronter une ségrégation raciale féroce qui lui interdit de défendre sa place dans la société. Et pourtant, bien avant que le mouvement des droits civiques n’altère les certitudes conservatrices, des hommes et des femmes parviennent à faire entendre leurs voix. Ma Rainey fait partie de ces insoumis qui défient l’ordre établi. Les spectacles auxquels elle prend part lui permettent de conjurer le sort et de clamer ses indignations. Certes, le statut d’une artiste noire est fragile à cette époque lointaine. Les brimades, humiliations et caricatures entament souvent l‘énergie et la confiance en soi. Ma Rainey saura dépasser ses doutes et, bien que le militantisme est encore très risqué, elle montrera sa force de caractère en imposant une image triomphante.
Il y a cent ans, le blues est l’écho des plus démunis mais il n’a pas encore été suffisamment enregistré pour qu’il devienne un cri de ralliement. En dehors de Mamie Smith en 1920, peu d’artistes suscitent l’intérêt de l’industrie discographique balbutiante. L’aplomb de Ma Rainey va précipiter les événements. En 1923, après des années d’itinérance sur les routes du sud, elle parvient à signer un contrat avec Paramount Records. Ses premières séances de studio sont imparfaites mais, très vite, elle apprend la discipline et maîtrise ce nouvel outil essentiel à la visibilité des chanteurs et chanteuses de blues. Le succès de ses disques confirme son talent. Elle devient alors la « Mère du Blues » pour nombre de ses admirateurs. Ce qualificatif lui convient parfaitement même si elle reconnaît n’avoir rien inventé. Elle sait pertinemment que le blues existait dans le cœur de ses contemporains avant même qu’elle ne s’en empare.
Le crack boursier de 1929 aura malheureusement raison de cette ascension vertigineuse. Les coûts de production des disques 78t ne résistent pas à la crise financière et Ma Rainey sent le vent tourner. Ses apparitions scéniques, tellement acclamées autrefois, ne font plus recette. Les goûts du public ont changé, les « vaudevilles » semblent subitement désuets. 10 ans plus tard, Ma Rainey disparaît dans l’indifférence générale. Elle avait 53 ans. Il faudra attendre les années 60 et l’engouement d’une nouvelle génération pour que le nom de Ma Rainey resurgisse. Son répertoire est redécouvert, soudainement célébré, et entre enfin dans « L’épopée des Musiques Noires ». En 2020, un film biographique intitulé « Ma Rainey’s Black Bottom » révèle à l’écran une femme redoutablement intransigeante qui pose ses conditions et ne déroge pas à ses propres convictions. Le livre de Steven Jezo-Vannier va plus loin et dessine le portrait très documenté d’une femme libre dont le quotidien pesant ne devait pas contraindre les faits et gestes. Revendiquer son identité était un risque. Ma Rainey le savait mais rien ni quiconque ne pouvait la museler.