
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
Retrouvez la playlist de l'Épopée des musiques noires sur Deezer
Nina Simone aurait 90 ans!
Le 21 février 2023, la chanteuse africaine-américaine Nina Simone aurait eu 90 ans. Alors que l’industrie du disque se mobilise pour honorer sa mémoire, son aura continue de susciter admiration et interrogation. Sa personnalité imprévisible, sa radicalité, ses emportements, n’exprimaient-ils pas un mal être plutôt qu’un tempérament excessif ? Rétrospectivement, Nina Simone n’avait-elle pas raison de s’insurger contre les dérives sociales, les discriminations et les violences raciales ? À travers plusieurs documents sonores extraits de nos archives, nous réécoutons cette semaine la voix d’une femme insoumise et la pertinence de son propos.
Nina Simone était une artiste rebelle, une femme meurtrie, une âme sensible et une activiste redoutable. On disait d’elle qu’elle était capricieuse. Peut-être fallait-il y voir la fragilité d’une existence troublée, bousculée par les renoncements, les humiliations, les brimades et la violence sociale d’une époque particulièrement rude. Lorsque paraît son premier album, « Little Girl Blue » en 1959, le public ne sait pas que la jeune chanteuse et pianiste est une artiste frustrée. Toute sa vie, elle aura regretté de ne pas avoir atteint son but ultime : être une soliste classique. Dans de nombreuses interviews, elle reconnaissait tristement avoir dû s’adapter à une destinée de « Jazz Woman » qu’elle n’avait pas désirée.
Sa famille est à l’image de la population noire de l’époque, souvent démunie et rejetée par une société raciste et profondément inégalitaire. Pour la petite Eunice Kathleen Waymon, la musique est un refuge et deviendra très vite une passion. Elle montre très tôt de bonnes dispositions pour l’interprétation de cantiques religieux. Par l’entremise d’une professeure de piano, Madame Massinovitch, la future Nina Simone découvre les œuvres de Jean-Sébastien Bach et s’en délecte. L’enthousiasme de ses proches devant ses prouesses instrumentales nourrit son désir de voir plus grand et, pourquoi pas, d’être concertiste classique. Ce que la jeune Miss Waymon n’a pas pris en compte, c’est la couleur de sa peau. Lorsqu’elle se présente à la Juilliard School of Music de New York, le racisme est une réalité incontournable et gangrène la société toute entière. Pour parvenir à ses rêves, elle doit passer un concours qui décidera de son inscription dans une prestigieuse institution musicale américaine. Elle est jeune, douée mais noire ! Elle sera recalée et devra vivre avec cet échec jusqu’à la fin de ses jours. Son amertume se transformera en protestation et, plus tard, en un militantisme acharné contre la ségrégation raciale. Bien des années après cet épisode malheureux, elle continuait à pester et à se plaindre du sort qu’on lui avait réservé. Avait-elle subi une discrimination ou avait-elle seulement raté sa prestation face au jury ? À ses yeux, la question ne se posait même pas. Elle fut la victime d’un système inégalitaire !
Nina Simone ne devient donc pas concertiste. Alors, elle se tourne vers le jazz, le blues, les musiques afro-américaines, sans se détacher totalement du répertoire classique. Elle se sent pourtant piégée. Elle a les capacités de se mesurer aux plus grands pianistes classiques mais sa peau noire le lui interdit. Son insatisfaction ne cesse de grandir et il lui devient difficile de justifier ses choix artistiques, de décrire sa musique, son intention créative. Nina Simone est une femme blessée dans son amour-propre. Elle veut se produire dans les auditoriums mais on ne lui réserve que des clubs sans grande envergure. Elle enrage de piétiner ainsi et cherche un moyen d’exprimer sa colère. Elle interprète des « Protest Songs », des airs contestataires qui accompagnent les mouvements de lutte afro-américains. Au début des années 60, à l’aube d’une révolution sociale aux États-Unis, son discours se radicalise. Progressivement, Nina Simone trouve sa voie. Elle dénonce, s’insurge et profite de sa notoriété croissante pour clamer son refus des violences gratuites. En 1964, à Carnegie Hall, l’une des grandes salles de spectacle américaine, elle ose entonner « Mississippi Goddam », une fronde contre les exactions des autorités sudistes envers la population noire dans cet état très conservateur.
Perçue comme une voix engagée et désormais incontournable, Nina Simone ne se fait pas que des amis. Elle est devenue une personnalité encombrante qui défie l’ordre établi. Le fisc américain la persécute. Elle finit par quitter son pays natal pour éviter des poursuites judiciaires inévitables. Elle se réfugie d’abord à la Barbade, puis au Liberia. Elle doit alors se résoudre à vivre loin des États-Unis. Les années passent et Nina Simone ne va pas bien. En juillet 1976, Nina Simone réapparaît à Montreux en Suisse où sa fragilité psychologique jaillit au grand jour lors d’un concert historiquement fébrile capté par les caméras de Claude Nobs, fondateur du Montreux Jazz Festival. Cette prestation est désormais disponible en CD dans la série « The Montreux Years ».
C’est à Paris que l’espoir renaît. Elle survit dans des clubs de la ville lumière, sans grande ferveur, et accepte pourtant une sollicitation, celle du producteur Yves Chamberland qui la convie au studio Davout. « Fodder on my wings » sera le dernier grand album de Nina Simone. Certes, les humeurs de l’étoile noire rythmeront l’enregistrement de ce disque aux couleurs sonores incertaines mais elles lui redonneront le goût de se produire sur scène, d’être à nouveau dans le feu des projecteurs. Le coup de pouce décisif viendra du monde de la publicité. Un spot pour un célèbre parfum relancera « My Baby Just Cares For Me » sur les antennes de radio et de télévision. Nina Simone retrouvera les faveurs du public et les micros des journalistes. Toujours aussi déterminée, elle reprendra son discours militant.
À la fin de sa vie, Nina Simone semblait accepter sa destinée. Elle répondait avec un peu plus de tempérance aux interrogations des critiques musicaux et de ses fans. Elle se pliait de bon grâce à l’exercice de l’interview même s’il fallait veiller à ne pas la froisser. Était-elle enfin en paix avec elle-même ? Nous nous plaisons à le croire…
Plusieurs événements saluent aujourd’hui l’artiste…
- Decca Records fait paraître une compilation anniversaire !
- Le titre « Stars » enregistré à Montreux en 1976 est réédité par le Montreux Jazz Festival, la RTS, BMG et Montreux Sounds
- Les éditions « Le Mot et Le Reste » recommande la biographie de Frédéric Adrian.
- La chanteuse Kareen Guiock Thuram annonce un concert en hommage à Nina Simone le 28 février au New Morning à Paris.