Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.

Réalisation : Nathalie Laporte
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La résilience musicale de l’Église noire américaine

Mahalia Jackson chante sur les marches du Lincoln Memorial, le 28 août 1963, lors de la Grande Marche pour les droits civiques des Afro-Américains tandis que Martin Luther King Jr (en bas à droite) et de nombreux membres du public sont tournés vers elle. © Bob Parent/Getty images

Les éditions « Labor et Fides » font paraître un ouvrage passionnant consacré à la place sociale, culturelle et militante de l’Église africaine-américaine dans l’histoire des États-Unis. « Black Church » évoque l’appropriation du culte par les esclaves africains devenus, au fil des siècles, des citoyens américains porte-paroles d’une communauté résiliente. La musique tient un rôle essentiel dans ce processus d’affirmation identitaire, comme le souligne Henry Louis Gates Jr, auteur de cette étude édifiante. 

Il y a 60 ans, l’Amérique noire vivait une révolution populaire majeure en se levant contre les exactions policières et les discriminations quotidiennes. Martin Luther King devenait l’apôtre de la non-violence et ses discours prenaient des accents incantatoires dont la musicalité renvoyait irrésistiblement aux sermons véhéments des hommes d’église. Les « spirituals » qui accompagnent, depuis des siècles, les célébrations religieuses de la communauté africaine-américaine ont donné de la force au mouvement des droits civiques, durant les années 60, aux États-Unis. La chanteuse Mahalia Jackson fut une fervente partisane de l’égalité des chances et ne manquait jamais de soutenir l’engagement du pasteur King. « Quand Martin Luther King était confronté à des moments de stress intense, quand il était confronté au racisme du quotidien, il appelait Mahalia Jackson en pleine nuit, parfois à deux heures du matin, et lui faisait part de son inquiétude face aux menaces des suprémacistes blancs qui lui prédisaient une mort violente. L’histoire lui a malheureusement donné raison. Il appelait donc Mahalia Jackson au téléphone. Elle décrochait : « Martin ? ». Lui, répondait : « Mahalia ? ». Et il ajoutait : « J’ai besoin que tu me réconfortes ! ». Elle comprenait immédiatement le message et se mettait à chanter au téléphone son air préféré. Il s’agissait d’une composition de Thomas A. Dorsey qui avait collaboré avec Mahalia au début de sa carrière. La chanson s’appelait « Precious Lord, Take My Hand ». (Henry Louis Gates Jr au micro de Joe Farmer).

© Éditions Labor et Fides
Henry Louis Gates Jr, auteur de «Black Church».

 

Henry Louis Gates Jr est le directeur du Centre d’études africaines et africaines-américaines à l’Université Harvard à Cambridge (Massachusetts). Il est un orateur éclairé de la destinée des Noirs d’Amérique. Il est l’auteur d’une série de documentaires télévisuels intitulés « Black Church : This is our story, This is our song ». Né en 1950 dans une société ségrégationniste, il a éprouvé, comme tout citoyen noir outre-Atlantique, le racisme, les brimades et les humiliations. Il a vécu dans cette oppression constante et a pu observer de près l’attitude de ses aînés face à l’injustice d’un système totalement inégalitaire. La musique était souvent un rempart au désespoir. À ses yeux, que l’on se rende dans les clubs de blues ou que l’on chante des cantiques religieux, la force expressive des mots et des notes nourrit l’esprit de résilience collégiale. « Les samedis soirs, dans le sud, la population afro-américaine se rendait dans les Juke Joints. Au nord, les Noirs se rendaient dans les clubs de Harlem. C’était l’occasion d’assister aux concerts de Bessie Smith, Mamie Smith, Clara Smith, Ma Rainey, sans oublier Louis Armstrong qui jouait dans l’orchestre de Bessie Smith. Il y avait aussi Duke Ellington qui donnait de nombreux concerts les samedis soirs à Harlem à cette époque. Quand le soleil se levait le dimanche matin, les Noirs se précipitaient à la maison pour revêtir leurs plus beaux habits et se dirigeaient vers l’église. Et là, ils se confessaient de leurs péchés de la veille. Ils n’avaient pas conscience de porter en eux un patrimoine musical qu’ils avaient entendu dans les clubs comme à l’église. Ils l’ont remodelé à leur guise et en ont fait une musique sacrée. On peut donc dire que le blues est la forme primaire du gospel même si cela a suscité de nombreuses controverses. » (Henry Louis Gates Jr sur RFI)

© Bettmann Archive - Bettmann
Le pasteur Martin Luther King Jr, lors de son discours «I have a dream», devant le Lincoln Memorial à Washington, le 28 août 1963.

 

Du Ragtime au Hip Hop, les musiques afro-américaines prennent leur source dans l’Église noire, seul lieu de résistance épargnée par la pression du pouvoir blanc. C’est là, dans ce refuge, que la fronde sociale a pu naître et aboutir à une reconnaissance indiscutable du poids politique, économique et culturelle de la communauté africaine aux États-Unis. Chaque chanson issue du patrimoine dit « sacré » porte en elle un message de protestation hérité de la colère et de la frustration des esclaves au labeur. « Lorsque j’ai interviewé Oprah Winfrey pour cet ouvrage « Black Church », elle a déclaré la chose suivante : « Il n’y a rien de plus fondamental que l’Église noire dans l’évolution de la société américaine. L’Église noire représente tout pour la communauté afro-américaine. Dans son enfance, comme dans la mienne, l’église était omniprésente et guidait nos pas. Oprah Winfrey m’a même suggéré le sous-titre pour mon livre : « Ceci est notre histoire et ce sont nos chansons ! ». Cela s’inspire d’un hymne religieux, intitulé « Blessed Assurance », écrit en 1873 par une femme blanche chrétienne nommée Fanny Crosby que l’on considérait comme l’une des reines du gospel à l’époque. La musique fut composée par une autre femme blanche chrétienne du nom de Phoebe Knapp. La communauté noire s’en est emparé et, désormais, dans toutes les églises noires, chaque dimanche, vous pouvez entendre cette chanson devenue légendaire. Tout ça pour vous dire que la musique sacrée interprétée par les Noirs est une transformation d’hymnes écrits par des religieux blancs, anglais ou américains, baptistes ou méthodistes, que les chœurs gospel afro-américains se sont totalement réappropriés. N’omettons pas de dire que la sève de ces chants provient aussi des traditions africaines importées par les esclaves sur le sol américain. » (Henry Louis Gates Jr – Mars 2023)

© Éditions Labor et Fides
Henry Louis Gates Jr, auteur de «Black Church».

 

Alors que 2023 marque le 60ème anniversaire du fameux prêche « I have a dream » prononcé par le pasteur Martin Luther King Jr, le 28 août 1963, à Washington, lire « Black Church » (Éditions Labor Et Fides) est une belle ouverture vers une écoute attentive et œcuménique du répertoire noir américain qui porta les revendications légitimes d’un peuple malmené dont on ne cesse de redécouvrir l’indiscutable témérité. Le mouvement « Black Lives Matter » en fut une belle démonstration, une fois de plus, relayée par de nombreux interprètes de « L’épopée des Musiques Noires ».

Le site des Éditions Labor et Fides

Le site de Henry Louis Gates Junior - Harvard University

⇒ À écouter aussi sur RFI : « Black Church: l'histoire des Églises noires, de l'esclavage à Black Lives Matter ».