
Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.
Réalisation : Nathalie Laporte
Retrouvez la playlist de l'Épopée des musiques noires sur Deezer
Jonathan Butler recherche l’unité
Le chanteur et guitariste, Jonathan Butler, est né en 1961 au Cap, en Afrique du Sud. Son enfance fut donc bouleversée par l’oppression constante des autorités ségrégationnistes de l’époque. Devenu un artiste respecté au-delà des frontières de sa terre natale, il présente aujourd’hui son 38ème album dont l’intention affichée est d’appeler à l’unité. Ubuntu est, de surcroît, magnifié par la réalisation artistique du bassiste Marcus Miller et les ornementations de grandes figures de « L’épopée des Musiques Noires », dont Stevie Wonder et Keb Mo… Actuellement en tournée, c’est depuis la Californie que cet artiste au grand cœur nous conte sa destinée.
Jonathan Butler est un homme d’une rare humilité, dont le cheminement artistique épouse l’aventure humaine de millions de Sud-Africains. Issu d’une famille démunie dans une société régie par les lois de l’apartheid, il luttera toute sa vie pour trouver la paix intérieure et s’épanouir. La musique sera son échappatoire. « Nous vivions dans un bidonville sans électricité, sans eau courante, les toilettes étaient à ciel ouvert… Il fallait donc se débrouiller tout seul. J’ai vu et vécu tant de drames. Par conséquent, je sais ce que la musique peut vous apporter. La musique m’a rendu heureux et je veux, à mon tour, apporter du bonheur à ceux qui m’écouteront. Je veux voir les spectateurs de mes concerts ressortir de la salle de spectacle avec le sourire aux lèvres. Je veux les voir optimistes, je veux qu’ils gardent espoir, je veux leur donner du courage car il en faut beaucoup pour affronter cette vie. Ma propre expérience de musicien est un vrai défi. Être Jonathan Butler demande finalement beaucoup de courage. J’étais tellement timide autrefois mais, chaque fois que je me mettais à chanter, mes parents retrouvaient le sourire. La musique a été ma bouée de sauvetage, elle est devenue mon amie ». (Jonathan Butler au micro de Joe Farmer)
Jonathan Butler parvient à s’extraire de la pression sociale en publiant des albums finement ciselés qui le hissent au rang des meilleurs instrumentistes et vocalistes des années 80. Une chanson va le révéler au grand public. Lies sera son premier grand succès en 1987 même si une tonalité proche de celle de George Benson lui vaudra quelques railleries de la part de ses contemporains. Qu’importe ! Sa notoriété s’accroît et Jonathan Butler peut jouer dans la cour des grands. Il ne se satisfait cependant pas totalement de cette accélération de son quotidien. Il veut mettre à profit cette exposition médiatique pour dénoncer les dérives politiques de son pays d’origine. Il prendra donc clairement position contre le régime autoritaire sud-africain dans l’album Heal our land en 1990. Ce disque fut d’ailleurs salué par le président Mandela quelques années plus tard. « Je me souviens qu’en 1994, j’avais donné un concert avec mon groupe pour célébrer la réunification de l’Afrique du Sud en tant que peuple uni et indivisible. À l’époque, Mandela soutenait les campagnes de lutte contre le sida. J’avais eu le privilège de pouvoir converser avec lui à ce sujet. Il m’a dit qu’il appréciait beaucoup ma musique et, notamment, l’album « Heal our land » que j’avais fait paraître en 1990 et qui avait été si longtemps banni du territoire sud-africain. Madiba écoutait ma musique quand il était en prison. À l’époque, il avait demandé à pouvoir parler aux artistes qu’il aimait. Ainsi, George Benson, Earl Klugh et moi-même avions pu le soutenir quand il était enfermé. Mandela aimait la musique, il aimait danser. Il avait en lui, comme Desmond Tutu, cette flamme vitale qui le maintenait en vie. Il ne nous parlait pas beaucoup de politique finalement. De toute façon, nous savions parfaitement quelle était la situation politique en Afrique du Sud ». (Jonathan Butler sur RFI)
L’album Ubuntu poursuit cette quête d’humanité à laquelle Jonathan Butler est si attaché. Citoyen du monde, il observe et s’indigne des exactions racistes sur la planète. Our voices matter, la dernière chanson de ce disque engagé, est un appel à la mobilisation de ses homologues artistes. « L’histoire de cette chanson est totalement liée au meurtre de George Floyd en mai 2020 à Minneapolis. Dès que j’ai appris ce drame, j’ai appelé mes amis musiciens pour évoquer la situation politique et la crise sociale que nous traversions. Je leur ai dit : « Pourquoi aucun d’entre vous ne s’est exprimé à ce sujet ? Pourquoi ne faisons-nous pas front face à de tels actes de violence injustifiée ? ». J’ai subitement réalisé que beaucoup d’entre eux redoutaient la réaction de leurs fans. Pour eux, avoir un discours politique pouvait avoir un effet négatif sur leur propre notoriété. Pourtant, à ce moment précis de notre histoire, il était important que nous jouions notre rôle d’artiste, à savoir être des lanceurs d’alerte. Marvin Gaye l’avait fait en son temps. Stevie Wonder, Donny Hathaway, Miles Davis également. Ils n’ont pas hésité à parler de ségrégation raciale. Je me suis dit : « Il faut que j’écrive une chanson à ce sujet ». J’ai donc appelé plusieurs amis musiciens comme Jeffrey Osborne ou Candy Dulfer pour qu’ils participent à cet engagement citoyen. Finalement, j’ai choisi de l’enregistrer acoustique. C’était, à mes yeux, une belle manière de clore cet album. Je n’ai jamais été autant bouleversé par les dérives du pays dans lequel je séjourne aujourd’hui : les États-Unis. Quand j’ai vu mes petits-enfants de 12-13 ans dans la rue en train de manifester après l’assassinat de George Floyd, j’étais en colère car j’ai connu l’apartheid en Afrique du Sud. Dès l’âge de six ans, j’ai réalisé ce que voulait dire la ségrégation raciale. Grandir dans ce pays divisé a été une véritable épreuve pour l’enfant que j’étais. Constater que, des décennies plus tard, les mêmes erreurs se répètent aux États-Unis, c’est très éprouvant. Je ressens à nouveau le racisme tel que je l’ai connu durant ma jeunesse en Afrique du Sud à cause de l’apartheid. La chanson « Our voices matter » exprime ce mécontentement et j’espère que beaucoup d’autres artistes se joindront à moi pour dénoncer les violences policières. Tout le monde sait ce qu’il se passe, mais personne ne parle… Personne ne se sent responsable de la situation. Mes homologues artistes ont trop peur de l’impact que cela peut avoir sur leur carrière et je pense qu’ils ont tort. Je suis convaincu que leurs fans soutiendraient leurs prises de position courageuses et les encourageraient même à prendre part au mouvement social ». (Jonathan Butler – Mai 2023).
Cet homme au grand cœur mérite d’être écouté et son exemple devrait susciter un regain d’activisme contre les injustices et les inégalités à l’échelle internationale. Gageons que ses prochains concerts provoqueront cet examen de conscience qu’il appelle de ses vœux.
⇒ Le site de Jonathan Butler.