Session Live Kepa et Jawhar

© 62TV/Pias / Ed.Miliani

Notre 1er invité est Kepa pour la sortie de son 2ème album Divine Morphine (Éditions Miliani).

C’est toujours la même chanson, celle qui tient en un mot. Cinq lettres, trois consonnes et deux voyelles. Un B, un L, un U, un E et la marque du pluriel au bout. Un mot international, qui désigne à la fois une musique, un état émotionnel et vaguement une couleur. Vous l’avez, là ? Chut… Il ne faut plus l’écrire, ni le nommer, pour ne pas tomber dans ses clichés, ni y emmener les auditeurs du deuxième album de Kepa. Kepa ne veut plus en entendre parler, pourtant il l’a. Dans sa guitare en métal qui, entre de bonnes mains, ressemble à une lampe d’Aladin, à une épée mythologique. Dans son harmonica, cet instrument qui fait trembler le cerveau quand on en joue avec le cœur. Dans sa vie de tous les jours et même de tous les hiers. Au fond de ses tripes, comme un frisson qui remonte jusqu’à ses cordes vocales, un super pouvoir dont il faut aussi avoir peur. Dans ses gênes, son corps endolori, son sang altéré. Dans le titre de ce nouvel album, Divine Morphine. Le premier, sorti il y a trois ans, s’appelait Doctor, Do Something. Un début de concept, toujours la même chanson, comme une affection longue durée. Kepa l’a attrapé comme une maladie. En 2013, Kepa s’appelait Bastien Duverdier et il vivait la vie de skater professionnel, humain augmenté capable de voyager loin et de s’envoler sur une planche à roulettes. Quant tout à coup, il s’est senti devenir vieux. Rongé par une maladie auto-immune qui a bouleversé sa vie, les chiens de l’enfer à ses trousses, qui ne le lâcheront jamais. Il a trouvé une planche de salut, sans roulettes mais avec des cordes, dans la musique, pratiquée sur sa guitare en métal et de préférence sur un ou deux accords qui tournent, à la recherche d’une transe intérieure, d’une vibration musico-thérapeutique, d’un rite auto-chamanique. Bastien est devenu musicien, sortant donc en 2018 Doctor, Do Something, premier album réalisé avec Taylor Kirk du groupe canadien Timber Timbre. L’album a été très bien accueilli, et des centaines de concerts ont fait connaître Kepa, son humour, sa musique et ses jolies chemises.

© Laurence Aloir/RFI
Kepa à RFI.

 

Mais, malgré tout le bien qu’on a pensé de Doctor, Do Something, on peut l’affirmer sans forfanterie : Divine Morphine est mille fois mieux. Doctor, Do Something était une carte de visite. Divine Morphine est le récit d’une expédition au fond de soi, d’un voyage au bout de l’enfermement. Personne ne t’entendra crier. Il a fait ce disque pour chercher à comprendre, dompter et raconter cette maladie qui l’a chamboulé jusqu’à l’implosion, à l’orée de la folie. «Du plomb dans l’Eldorado», chante-t-il en duo avec Sarah McCoy sur l’incroyable dark-pop song Eldorado, un vrai tube du nouveau monde. Du plomb dans l’Eldorado, c’est un peu ce que tout le monde ressent depuis l’année 2020, non ? Le calvaire des uns est la Covid-19, le sien s’appelle HLA-B27, pour human leucocyte antigen. Personne ne peut le vivre à sa place, mais tout le monde peut ressentir et apprécier comment il s’est soigné avec Divine Morphine. Le premier morceau est un peu son All Aboard (Muddy Waters) à lui. Un solo d’harmonica basse façon train song, qui aurait eu sa place sur Doctor, Do Something, mais qui d’un coup tourbillonne, se dérègle et annonce la suite. Le train vient de dérailler et d’entrer dans une autre dimension, celle du vertige opiacé, de la perte de contrôle, de la musique qui rêve et dérive… Une chanson va sonner comme la bande-son d’un western où Kepa fait un duel avec lui-même (Dog Days). Une autre emmène les vieux Bukka White et Alan Vega danser dans un club de Détroit pendant un tremblement de terre (Wet Dream). Le temps de deux reprises, Kepa s’agenouille sans se prosterner devant des totems intimes : Hard Time Killin Floor Blues de Skip James (avec Rodolphe Burger), et Sodade de Cesaria Evora dans une version hallucinée, où l’on voit l’océan geler autour des îles du Cap-Vert.

© Ed Miliani
Kepa.

 

Six pieds sous terre reste sous les tropiques le temps d’une murder ballad. La chanson Divine Morphine est presque badine, indolente, ritournelle dans un état second. L’instrumental Messe HLA-B27 montre les progrès guitaristiques fulgurants de Kepa, affranchi des exercices de styles, devenu son propre maître. Sa voix aussi a changé, il la pousse vers la plainte dans des aigus hululants. Il joue différents instruments, des claviers comme des stalactites, la trompette et d’autres choses avec sa bouche, des bruitages d’origine non identifiée. Il est l’homme-orchestre du Titanic, au final seul survivant du naufrage, puis échoué sur une île déserte – le dernier morceau, Merle, ressemble à la prière païenne d’un Robinson en lévitation. L’album est maintenant terminé. Personne n’en sortira indemne. Et tout le monde n’aura qu’une envie : y retourner. Stéphane Deschamps.

Titres interprétés

- Divine Morphine, Live RFI

- Sodade, extrait de l’album Divine Morphine

- Eldorado, Live RFI

- Hard Time Killing Floor, extrait de l’album Divine Morphine.

Puis nous recevons Jawhar pour la sortie de l’album Tasweerah (62TV/PIAS).

© Laurence Aloir/RFI
Jawhar à RFI.

 

Tasweerah est le quatrième album du singer / songwriter tunisien Jawhar. Tasweerah veut dire en tunisien à la fois : portrait, image, mais aussi : projection de l’esprit… L’album est une série d’arrêts sur image, de portraits plus ou moins personnels. Les chansons sont, chacune à leur manière, des tentatives vers un portrait universel de l’artiste. Elles questionnent sa place et celle de l’imaginaire dans la société, posent «la création et la quête de la beauté» au centre de l’album. Volontairement brut et sans artifice, Tasweerah nous replonge dans la folk / pop claire-obscure de Jawhar, proclamé dans la catégorie Arabic Dream Pop.

Né d’une mère professeure de Littérature arabe, éprise de musique et de poésie, et d’un père qui se consacre au théâtre puis à la politique culturelle, Jawhar grandit dans la banlieue au sud de Tunis, à Radès. Très tôt, il est fasciné par une certaine culture populaire, par la force de ses images et de ses expressions verbales, musicales et gestuelles. Quand il part à l’âge de vingt ans étudier l’anglais à Lille, c’est plutôt la poésie abstraite qui l’attire, celle de William Blake et d’Emily Dickinson… En plus d’un amour grandissant pour un certain Nick Drake qui le liera de manière irrévocable à sa folk impressionniste.

© 62TV/Pias
Jawhar.

Titres interprétés

- Malguit Live RFI

- Schizo Hyout, extrait de l’album Tasweerah voir le clip 

- Sayyed Ezzin, extrait de l’album Tasweerah

- Foug Layyem Live RFI voir le clip.

Son : Fabien Mugneret, Mathias Taylor, Benoît Letirant.

(Rediffusion du 27 mars 2022)