
De Mozart à Césaria Evora… C’est le RDV des 1001 musiques de RFI présenté par Laurence Aloir, avec des portraits, des entretiens, des sessions live au grand studio de RFI à Issy les Moulineaux et la tournée des festivals en son et en images qui bougent.
Hommage à Ismaïla Toure avec sa #SessionLive de 2018, puis celle de Jî Drû pour son album «Fantômes»
Ismaïla Toure, l’un des fondateurs de Toure Kunda, est mort lundi 27 février 2023. Nous présentons nos condoléances à sa famille, ses proches et à son public. Puis nous recevons le flûtiste français Jî Drû pour la sortie de son album Fantômes.
Nous avions reçu les Éléphants de la musique africaine en 2018, pour la sortie de l’album Lambi Golo.
Voici ce qu’écrivait Frank tenaille, journaliste et spécialiste des musiques du monde :
« Les Toure Kunda sont de retour. Non qu’ils ne soient jamais partis mais après quarante ans de carrière internationale, ils ont eu le besoin de reprendre des forces. Et en ce cas, quoi de mieux que de se ressourcer au creuset de cette Casamance où s’enracine l’incroyable saga de la famille éléphant (Touré Kunda en soninké).
Car les nouvelles générations l’ignorent, c’est de cette région au sud du Sénégal, entre savane et mangroves, qu’un jour un des frères parti pour la France, fidèle à son ancêtre colporteur-cordonnier qui, lui, avait quitté le Mali pour la Casamance en quête des peaux de crocodiles nécessaire à son métier. Pour Ismaël qui vient tenter sa chance à Paris en 1975 et qui participera au West African Cosmos, un combo qui expérimente l’hybridation des sons rock et afro, ce sera donc le parcours classique de l’immigré entre boulots aléatoires, froid et solitude, réseaux associatifs, filigrane thématique de plusieurs chansons ultérieures. Puis en 1977, c’est Sixu, alors impliqué dans une ONG qui forme les paysans à de nouvelles pratiques agricoles, qui le rejoint. Un duo qui se fera connaître au sein des foyers sous le nom de « Frères griots » avant de devenir un groupe de scène avec des musiciens aguerris.
C’est qu’un nouveau public aspire à découvrir ce continent africain plein de promesses sonores. Les alliés de l’aventure, au diapason d’une nouvelle conscience planétaire, étant ceux d’une presse alternative (Libération, Actuel…), d’un label défricheur (Celluloïd), de lieux altermondialistes comme Le Dunois ou La Chapelle des Lombards ou d’initiatives formidables comme Africa Fête lancé par le précieux Mamadou Konte. Ainsi, Amadou, le frère aîné rejoignant le duo, les Toure Kunda deviennent les ambassadeurs d’une vague des musiques africaines qui va voir s’affirmer les Salif Keita, Mory Kante et autres Youssou N’Dour et bien sûr de plus anciens comme Manu Dibango, Francis Bebey ou Pierre Akendengue. Dès lors, les Toure Kunda vont jouer les pionniers.
Précurseurs du phénomène World Music, ils seront les premiers à occuper l’immense Hippodrome de Pantin. Les premiers à organiser une méga tournée en Afrique (cf. l’album Paris-Ziguinchor). Les premiers à épicer leurs musiques de technologies (cf. l’album Natalia avec le mythique producteur Bill Laswell). Les premiers Africains à avoir un impact au Japon. On les verra aussi faire tomber la veste aux chefs d’États africains, lors du sommet de la Francophonie de Vittel en 1983, occuper le Carnegie Hall avec Santana ou rencontrer Mandela... Comme autant de désaveux à ces sceptiques qui, au début de leur carrière, ne les voyaient pas pouvoir jouer au-delà d’un public communautaire.
Quand ces fils de Ziguinchor, nourris de James Brown, Led Zeppelin, Brassens ou Creedence Clearwater ont toujours voulu voyager à la rencontre d’autres fratries, avec la terre de leur pays sous leurs semelles et des sabars à portée de main. D’où ce besoin, pour ces quarante ans de scène, d’en revenir à cette matrice qui a nourri leurs imaginaires et leur a fourni leur carburant onirique.
Une Casamance qui, comme bien des régions du monde, a été brutalisée dans son immémoriale teranga (hospitalité) par une mondialisation pas toujours positive dans ses effets (voir par exemple le pillage des forêts ou des eaux de pêche par les multinationales). Aussi les chansons de ce nouvel album, longtemps peaufiné et enregistré façon « studio au village » pour garder le suc de la vie, évoquent les pertes de valeurs de générations en désarroi. Ces valeurs collectives que les Toure Kunda ont toujours fait leurs et que symbolise le djambaadong, « danse des feuilles » pulsant le parcours initiatique des jeunes rentrant dans la vie d’adulte. Des valeurs qu’ils évoquent à travers des métiers comme ceux des paysans, pêcheurs, forgerons ou par le souvenir de cet ex-lépreux qui faisait le tour des concessions pour se nourrir et dispensait des messages d’amour, de paix et de fraternité.
A contrario, les frères dénonçant la marchandisation du làmb (la fameuse lutte sénégalaise, hier école d’humilité et d’exemplarité), devenu une « lutte de singes » (Lambi Golo, titre de l’album), lutte qui n’est pas sans rappeler celle des hommes politiques. On le voit, rien donc de nostalgique dans ce répertoire tant les Toure Kunda sont toujours sensibles aux mutations et enjeux du présent. Avec cet album, entourés de brillants complices musiciens (Paco Sery, Romain Ghezal, Alune Wade,...) et d’amis célèbres (Manu Dibango, Nelson Palacio, Cheik Tidiane Seck, Lokua Kanza...), les Toure Kunda déclinent à leur manière le mot « humanité ». Puisque, fidèles à l’idée que « l’universel c’est le local moins les murs », eux qui grandirent quartier Santhiaba entre Soninkés, Diolas, Mandingues, créoles portugais, Peulhs ou wolofs, estiment qu’une région du monde ne peut être qu’une métaphore de la diaspora humaine. Aussi dégustera-t-on leur thiéboudienne musical, énergique et tendre, mélange de m’balax, rythmes casamançais, funk, pop-rock, pop, épices reggaeisantes, comme une invitation à la danse, au rêve et à l’espérance. »
Morceaux interprétés par Toure Kunda dans le Grand studio (2018)
- Lambi Golo Live RFI voir le clip
- Emma salsa (avec Carlos Santana) extrait de l’album Lambi Golo
- Sene Bayo Live RFI.
Line Up : Ismaïla Touré & Tidiane Toure, chant ; Laye Kane, guitare ; Nicolas Leroy, percussions ; Kirsley Sham, batterie et Mansour Semega, basse.
► album Lambi Golo (Soulbeats Records 2018).
- Disparition Ismaïla Toure, à lire sur RFI.
- Biographie de Toure Kunda, à lire sur RFI Musique.
Puis nous recevons Jî Drû, Sandra Nkaké et Pierre-François Blanchard, pour la sortie de l’album Fantômes.
Jî Drû, flûtiste de caractère, chef de bande endiablé pour Tribe From The Ashes, Push up ! et Jî Mob, producteur et arrangeur, sideman inspiré, signe aujourd’hui un second album sous son nom, raffiné, expressif et onirique : FANTÔMES.
« La musique est invisible, la flûte n’est jamais qu’un peu de souffle qui résonne. Je me suis posé la question de notre relation à ce qu’on ne voit pas et plus particulièrement aux Fantômes, dans une logique qui serait celle d’un rêve musical. Ces dernières années, tout s’est effondré : nos repères intellectuels et sociétaux, nos espaces de partages et de rencontres sont totalement bouleversés et ont même parfois disparu, nos repères sont déplacés ou effacés, les Fantômes se rappellent alors aux vivants, ou plutôt les vivants rappellent les Fantômes. On peut ainsi établir de nombreux parallèles avec la musique et plus largement la création qui utilise des références invisibles pour guider l’auditeur, pour raconter des histoires (sons, gammes, textures, structure, nuances...). Tout ça, bien sûr, si on croit aux Fantômes... car les Fantômes, c’est comme le son de la flûte, ça n’existe pas, ou alors ça sert juste à habiter poétiquement ce monde. »
Fantômes, de Jî Drû brille par sa tenue, sa production léchée et minutieuse comme par la qualité de son casting, c’est un disque majeur, un manifeste jazz irrigué par le blues, la musique classique et les musiques répétitives, tribales ou électroniques. Le Rhodes hypnotique de Pierre-François Blanchard, les textures et voix envoutantes de Sandra Nkaké, les rythmes inventifs de Mathieu Penot, l’apparition poétique de Mike Ladd, et les beaux arrangements de cordes accompagnent les volutes de flûtes et le chant de Jî Drû. Chaque morceau est l’essence d’un instant et le tout crée un climat intemporel où l’acoustique et le bois se frottent aux sons électriques. Jî Drû crée un monde onirique, fait de petites histoires de Fantômes, il creuse un sillon quelque part entre Portico Quartet, Cinematic Orchestra et Mélanie de Biasio, celui d’un jazz moderne et épuré qui tisse des histoires qui nous font vibrer. Un disque essentiel et envoûtant, plein de poésie et de révolte, un grand voyage musical, mystique, onirique, tribal et organique, pour un quartet dont on n’a pas fini de parler.
Titres interprétés au grand studio :
- A Bonfire Live RFI voir le clip
- Bonded By Fire Feat. Mike Ladd, extrait de l’album Fantômes
- A sign of the devil Live RFI voir le clip.
Line Up : Ji Drû, flûtes, Sandra Nkake, voix, Pierre-Francois Blanchard, piano
Son : Fabien Mugneret, Jérémie Besset et Mathias Taylor
► album Fantômes (Label Bleu 2023)
Concert : Bal Blomet 20 avril 2023.