Blues, Gospel, Negro Spirituals, Jazz, Rhythm & Blues, Soul, Funk, Rap, Reggae, Rock’n’Roll… l’actualité de la musique fait rejaillir des instants d’histoire vécus par la communauté noire au fil des siècles. Des moments cruciaux qui ont déterminé la place du peuple noir dans notre inconscient collectif, une place prépondérante, essentielle, universelle ! Chaque semaine, l’Épopée des musiques noires réhabilite l’une des formes d’expression les plus vibrantes et sincères du XXème siècle : La Black Music ! À partir d’archives sonores, d’interviews d’artistes, de producteurs, de musicologues, Joe Farmer donne des couleurs aux musiques d’hier et d’aujourd’hui.

Réalisation : Nathalie Laporte
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Madé Kuti, la filiation afrobeat

Madé Kuti a toujours une idée musicale en tête. © Christian Rose

Petit-fils de Fela Anikulapo Kuti, fils de Femi Kuti, le jeune Madé Kuti doit nécessairement ressentir le poids de l’héritage sur ses épaules. Et pourtant, il parvient à imposer, sans effort, sa force expressive et un discours pertinent, totalement adapté à son époque et à sa génération. Il ne réfute pas l’esprit de rébellion qui accompagne sa réflexion mais il a conscience de vivre en 2022. Ses convictions et ses choix personnels n’appartiennent qu’à lui et déterminent le sens de son engagement artistique et citoyen. Alors que l’exposition « Fela Kuti, rébellion afrobeat » se tient actuellement au musée de la musique à Paris, les mots choisis de Madé Kuti invitent à l’examen de conscience.

Le 08 octobre 2022, Madé Kuti livrait une prestation particulièrement tonique à la Philharmonie de Paris devant un public épaté par la fougue afrobeat de cet artiste en devenir. Si la France découvrait alors un nouveau membre de la famille Kuti, les partisans de la fronde sociale nigériane savaient déjà que ce jeune talent allait conquérir le cœur de milliers de fans. Il fut d’ailleurs à bonne école en observant, dès son plus jeune âge, les prouesses de son père, Femi Kuti, sur la scène du Shrine, ce club légendaire de Lagos où Fela écrivait l’histoire dans les années 70. Et quand vint le moment où Madé dut investir ce lieu très symbolique, le 25 septembre 2022, l’émotion était palpable : « Ce fut une date importante pour moi  car je suis un enfant du Shrine. Toute mon enfance, j’ai vu mon père s’y produire 4 fois par semaine. Il pouvait jouer 6 heures durant. J’allais à l’école, il était sur scène ; je revenais de l’école, il était sur scène. Il mettait toute son énergie dans ces prestations. Il n’a jamais transmis le flambeau à personne, et ce, pendant des décennies. Les seules fois où il ratait l’occasion de se produire au Shrine, c’était lorsqu’il voyageait à l’étranger. Il s’arrangeait d’ailleurs pour que son absence soit la plus brève possible, une semaine au plus ! Par conséquent, avoir le privilège de lui succéder et avoir sa confiance est un honneur car tenir cette scène mythique n’est pas donné à tout le monde. Quand j’étais petit, le « Sunday Jump » était le rendez-vous incontournable au Shrine. Chaque jour de la semaine était réservé aux répétitions mais, le dimanche, il fallait être prêt. Nous mettions nos plus beaux costumes et les musiciens faisaient le show ! Être aujourd’hui le maître de cérémonie, cela représente beaucoup pour moi… Et je suis certain que cela a également de la valeur pour tous ceux qui m’ont vu grandir dans ce lieu légendaire. Je n’oublierai jamais cette journée incroyable ». 

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Madé Kuti porte nécessairement en lui les traditions culturelles héritées de ses aînés mais son message est moins rude. Il entend apaiser les esprits en cherchant la concorde et la compréhension entre les citoyens du monde. Il n’est pas aveugle et sourd aux aspirations de ses contemporains mais il constate le découragement et l’apathie. Alors, il fait le vœu que sa musique apportera un peu d’espoir et de réconfort : « Quand on vit dans un pays comme le Nigeria, le quotidien vous pousse à réfléchir autrement. Il y a une pensée toxique qui détermine votre comportement. C’est très déprimant. Vous avez constamment l’impression qu’il n’y a pas de solutions à vos problèmes. Vous avez le sentiment que les défis sont insurmontables. Actuellement, au Nigeria, tout le monde cherche un moyen d’échapper à cette pression sociale. On ne cherche plus les solutions qui nous permettraient de vivre en harmonie. La seule chose qui me fait avancer, c’est l’espoir que j’ai constamment en moi. J’essaye de rester positif, plus pour mes proches que pour moi-même d’ailleurs… J’ai deux frères et 4 sœurs, tous plus jeunes que moi, et je pense à leur avenir au Nigeria. Je ne me résous pas à accepter le fait qu’ils vivront peut-être dans un pays plus mal en point qu’aujourd’hui. Si je ne garde pas espoir et si je ne joue pas un rôle positif, j’aurai échoué dans ma vie de citoyen. Voilà comment je vois les choses ». 

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Fela était un combattant. Femi est un rebelle. Que deviendra Madé ? En portant notre attention sur ses déclarations, la diplomatie semble guider ses choix personnels et artistiques. Il ne vit pas la dureté implacable du Nigeria d’autrefois et a pleinement conscience que son présent est moins oppressant et insoutenable. Ses prises de position sont, de fait, moins radicales et intransigeantes. Il a acquis une tempérance qui le distingue de ses aïeux. « Je pense que Femi m’a appris à être diplomate. Plus jeune, mon père vivait avec beaucoup d’intensité son quotidien. Un peu comme Fela d’ailleurs. Quand Fela a porté symboliquement le cercueil de la justice bafouée devant le siège du gouvernement militaire après l’incendie de sa propriété nommée « Kalakuta », mon père Femi était à ses côtés et a pris également les coups de la répression armée. Il a connu la prison. Il a dû faire face à des actes de violences, très tôt dans sa vie. J’ai donc constaté l’évolution de son comportement au fil des années. Quand il avait 30 ans, il était strict, têtu, il ne parlait pas beaucoup. Aujourd’hui, à 60 ans, il est très amical. Il m’a donc appris qu’on pouvait évoluer, qu’on pouvait avoir de la compassion. Je considère avoir été parfaitement éduqué. On ne m’a pas menti sur mes origines, sur le combat qu’ont mené mes aînés. Ce n’est pas quelque chose que l’on apprend à l’école, il m’est donc difficile de transmettre ce savoir-là à mon entourage. Il faut s’armer de patience, faire preuve de compréhension, accepter les compromis. Ce sont des valeurs humaines que mon père m’a transmis. Si je n’avais pas eu cette éducation, aujourd’hui je serais un jeune homme impoli, incapable de comprendre son époque. Soyons bien clairs, je n’essaye pas m’édulcorer le message que je transmets à mes contemporains, je n’élude pas les problèmes, je cherche des solutions aux maux de la société. Voilà ce que j’exprime dans ma musique. Je ne dis pas aux gens comment ils devraient penser, je leur indique une voie pour penser autrement ». (Madé Kuti – Octobre 2022)

Artiste inspiré, citoyen engagé, esprit vif, Madé Kuti a toutes les qualités pour séduire ses futurs admirateurs et admiratrices. Il lui faut juste conserver cette hauteur de vue et ne jamais se laisser happer par les sentiments négatifs, les renoncements et les jalousies. Son dernier single, « Stand Tall », prône le courage et la résilience devant l’adversité et les obstacles. Son discours ne cesse de s’affiner. Son aura ne peut que croître indéfiniment…