Amália Rodrigues, le Portugal perd sa voix
La chanteuse Amália Rodrigues, qui incarna le fado sur les plus grandes scènes du monde, s'est éteinte à Lisbonne le mercredi 6 octobre à l'âge de 79 ans. En soixante ans de carrière et quelques 170 disques édités dans une trentaine de pays, une douzaine de films, Amália était aussi l'ambassadrice de la saudade, ce sentiment profond de mélancolie.
Le Portugal a perdu sa voix. Mercredi soir, le petit peuple lisboète est venu en masse des faubourgs se presser devant le domicile de la chanteuse pour lui rendre un dernier hommage. Car l'histoire d'Amália Rodrigues se confond avec celle de son pays. Comme Edith Piaf, elle possède ce rayonnement international, tout en faisant partie de l'intimité de chacun.
Lorsqu'en 1939, à 19 ans, elle apparaît pour la première fois sur la scène du Retiro da Severa, elle pose déjà son empreinte sur la chanson portugaise. Elle va même au-delà, grâce à sa présence, sa diction, sa gestuelle, Amália révolutionne le fado. Car elle réussit très tôt le tour de force de renouveler un genre musical que le public pensait immuable. Elle possède cet instinct inné de ressentir aussitôt un texte et une musique, sans savoir lire une partition.
Dans ce que les Portugais appellent les casas de fado, Amália se distingue des autres interprètes. Surtout elle innove, par son phrasé, sa façon d'attaquer les voyelles et d'incarner le chant, sa façon très particulière de poser les mains sur les épaules des musiciens, enfin sa manière d'utiliser le châle qu'elle a détourné en accessoire de scène mais qui à l'époque était le symbole de la bourgeoisie. Elle, la petite vendeuse à l'étal de fruits, née dans le quartier ouvrier d'Alcantara de Lisbonne a toujours été fière de ses origines populaires. Même si les débuts ne furent pas faciles, son talent fit le reste.
Son passage à l'Olympia en 1956 à Paris en vedette américaine des Compagnons de la chanson, puis en tête d'affiche l'année suivante, de nouveau à l'Olympia et à Bobino, lui ouvrent les portes d'une carrière internationale fulgurante. Partout où elle se produit, elle chante au Brésil, aux Etats-Unis, au Japon, au Mexique, Amália Rodrigues incarne cette mélancolie à la portugaise que traduit le fado avec des succès comme "Ai Mouraria", "Amêndoa amarga", "Uma casa portuguesa", "Barco negro". Fataliste aussi Amália, comme le chant qu'elle transcende : "j'ai tant de tristesse en moi, je suis une pessimiste, une nihiliste. Tout ce que le fado requiert chez un chanteur, je l'ai en moi. Tout ce que l'on trouve le plus dans la poésie portugaise, c'est la tristesse, la compassion pour soi-même", disait la grande dame. Trois jours de deuil national ont été décrétés. Adeus, Amália.