Melissa Laveaux et les chants de résistance à l’occupation américaine en Haïti
Les chansons que la Canadienne Melissa Laveaux a choisi de réactualiser sur son troisième album Radyo Siwèl racontent, chacune à leur façon, un épisode souvent oublié de l’histoire récente d’Haïti, le pays de ses origines : l’occupation américaine, entre 1915 et 1934.
RFI Musique : Qu’est-ce qui vous a incité à faire de la période d'occupation américaine en Haïti le thème de cet album ?
Melissa Laveaux : Je trouve que c'est une période assez brillante. Par le conflit, il ressort parfois du génie, et c'est ce que je voulais mettre en avant. On pense souvent que la musique est là pour être légère, belle. Mais pour moi elle doit parler de notre époque, de manière aussi militante que possible.
Aviez-vous un sentiment de manque, conscient ou non, vis-à-vis de la culture haïtienne que vous connaissiez sans être sur place puisque vous avez grandi en Amérique du Nord ?
Oui, toujours. Avant d'aborder le projet, une amie haïtienne, qui a fait le choix de rentrer en Haïti, m'a dit que je n'étais pas assez haïtienne pour le faire. Et du coup, je me suis posé beaucoup de questions. Je me suis dit que je devais arrêter. Pendant un moment, je n'ai plus travaillé dessus. Je n'avais pas envie que ce soit pour remplir un manque par rapport à tout ce que j'ai pu manquer de la culture haïtienne en étant née et en ayant grandi au Canada. Pour moi, c'est très important de ne pas s'approprier la culture d'un autre. J'ai un respect énorme pour la culture de mes parents et j'ai envie de bien l'interpréter. C'est a priori pour les Haïtiens que j'ai fait cet album, et ensuite pour le reste du monde. Ce serait dommage que les Haïtiens le détestent !
Vous dites que c’est "la culture de vos parents". N’est-ce pas aussi la vôtre ?
J'ai été élevée par des parents haïtiens au Canada, alors que mes parents ont été élevés par des parents haïtiens en Haïti, sous une dictature. On n'a pas eu le même environnement, le même rapport au monde extérieur. Et puis ce n’est la même chose d'être élevée par des gens qui ont un chagrin, une tristesse et un mal du pays. Un déchirement. On transmet des choses différentes à ces enfants, de manière active et passive – ce sont celles-là qui marquent le plus. Quand ils sont retournés en Haïti où ils n’étaient pas allés depuis 34 ans, mes parents ne savaient pas s'ils faisaient bien les choses. Et moi, cette fois, c'était pareil, je ne savais pas si je me comportais comme une bonne Haïtienne. Je me pose des questions sur ma légitimité en tant qu'Haïtienne.
Vingt ans séparent les deux séjours que vous avez faits en Haïti. Pourquoi ne pas y être retournée plus tôt ?
La raison principale, c'est que la plus grande partie de ma famille vit en dehors d'Haïti, au Canada et aux États-Unis. Ce n'est pas un pays où on fait du tourisme, et je ne voulais pas habiter chez des cousins éloignés que je ne connais pas. Et depuis que j'ai 23 ans, je vis en France. Où j’ai commencé une carrière à partir de rien. Pendant longtemps, j'ai dépensé tout mon argent dans mon loyer parisien et mes tenues de scène !
Aviez-vous un plan d’action pour préparer cet album, en Haïti ?
Non. Quand j'y suis allée en 2016, je me disais que j’allais reprendre contact avec Haïti, me ressourcer, faire un peu de recherche. Mais sans me dire que ce serait un album et encore moins le prochain ! J'avais en tête l'idée, mais j’imaginais que ça aboutirait dix, vingt ou trente ans plus tard. Je ne comptais pas le faire si rapidement. Avant d'aller en studio, ce projet a vécu sur scène. Dès 2017 j’ai commencé à faire ces titres en public, dans les médiathèques où je fais pas mal de concerts.
Sur quels critères avez-vous sélectionné les douze titres que vous reprenez dans l’album ?
J’en ai trouvé bien plus que ça : on aurait pu faire Radyo Siwèl volume 2, 3… J’ai sélectionné ces douze-là parce que ce sont ceux qui étaient prêts, les plus aboutis dans la recherche des mélodies, dans mon approche à la guitare… En studio, on les a enregistrées dans les conditions du live, en les enchainant. On a fait trois prises, voire quatre au plus, pour chaque morceau. C'était la première fois, on n’avait pas travaillé de cette façon sur les albums précédents. On était dans une bulle de créativité, avec à notre disposition un choix d'instruments assez limité. C'est pour toutes ces raisons qu'il y a une cohérence dans le son. Il est plus urgent, plus instinctif.
Votre premier album est sorti il y a dix ans. Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre musique en une décennie ?
J'essaie juste de m'améliorer. Et faire quelque chose de différent sur chaque album. Ce n'est pas une évolution, plutôt un cheminement. Je côtoie certaines personnes à un moment, qui m'influencent un peu. Et on pond quelque chose de neuf avec ça. Le chemin se trace légèrement "au pif". Il y a une expression en anglais qui dit : "la meilleure façon de faire rire dieu, c'est de faire des plans". Du coup, j'essaie d'éviter d'en faire !
Melissa Laveaux Radyo Siwèl (No Format) 2018
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