La folk en arabe de Jawhar aux Transmusicales de Rennes

L'artiste tunisien Jawhar, Transmusicales de Rennes 2019 © V.Passelegue/ RFI

Les Transmusicales de Rennes qui se terminent le 8 décembre, sont un rendez-vous incontournable pour ceux que les mélanges culturels et artistiques intéressent. La cumbia electro, le hip hop africain, la dark wave russe, ou comme ce vendredi 6 décembre, la folk chantée en arabe par l’artiste d’origine tunisienne, Jawhar. Rencontre.

L’homme est né en Tunisie et a grandi dans la banlieue de Tunis avec des parents professeurs. Parti étudier l’anglais à Lille, c’est finalement en Belgique qu’il s’établira. Auteur d’un troisième album intitulé Winrah Marah,  qui vient de sortir, Jahwar s’est produit le vendredi 6 décembre devant le public des Transmusicales au Liberté, scène gratuite qui a accueilli un public curieux et ouvert, et qui a été rapidement conquis par le folk rock de cet artiste dont on dit que Jean-Louis Brossard, un des patrons des Trans, en a fait son disque de chevet. Jawhar a réussi son set, accompagné d’un bassiste, d’un batteur et d’un clavier, avec ses melodies chantées en langue arabe. Une fois sorti de scène, le musicien qui vit aujourd’hui en Belgique, nous a accordé un entretien pour parler de son parcours et de son album Winrah Marah.

RFI Musique : Votre premier album était en anglais, les deux suivants en arabe, comment s’est faite cette transition ?
Jawhar :
J’ai commencé la musique assez tard. Très vite, je me suis mis à écrire des choses. Et à 25 ans, j’ai écrit un premier album alors que je ne me destinais pas spécialement à la musique, professionnellement.  Je dirai que le premier album a été très influencé par le songwriting anglo-saxon folk. C’est sorti, je l’ai autoproduit, puis c’est ressorti sur un label belge. Après cet album, j’ai fait un gros break. Je me suis posé beaucoup de questions comme on peut le faire parfois. Je n’étais pas très sûr de vouloir faire de la musique toute ma vie. J’avais envie de retourner à des choses plus concrètes, le théâtre, travailler en équipe, et aussi renouer avec la Tunisie. J’y suis retourné, j’ai fondé une compagnie avec deux autres personnes. Et je me suis posé des questions sur le fait d’écrire en anglais. Il se trouve que la première création que j’ai faite en Tunisie, m’a amené à écrire des morceaux en tunisien et cela a été un sacré déclic pour moi. Je me suis senti vraiment chez moi, dans mes morceaux, que j’écrivais dans ma langue maternelle, chose que je m’étais sans doute interdite avant.

Ecrire en anglais semblait plus facile au départ ?
Il y avait des références immédiates, comme un terrain commun, c’était effectivement plus facile. Je suis parti de chez moi, de Tunisie, à l’âge de 20 ans. J’avais envie de prendre des distances par rapport à mon pays et à ma langue et de me réinventer en quelque sorte. Donc, ça voulait dire passer par une langue étrangère, plus internationale, presque universelle aujourd’hui. C’était une case obligée par laquelle il fallait passer. Ecrire dans sa langue maternelle n’est pas si facile. C’est un travail sur soi-même, c’est allé creuser. Et on est moins indulgent avec soi-même. On veut raconter quelque chose et on ne peut rester à la surface. Finalement, ça me plait de ne pas être dans la complaisance. Mais j’ai fait des études d’anglais et j’aime beaucoup cette langue, j’aime aussi écrire des poèmes. Mais on reste en terrain étranger dans ce cas-là. Et écrire dans sa langue maternelle c’est aussi la réinventer. J’ai appris à le faire. Pendant des années, je me suis interdit de chanter en arabe. Pour moi, chanter en arabe demandait une formation très classique. J’ai grandi avec Oum Khaltoum, les maqqams, toute cette rigueur qu’il peut y avoir dans la musique arabe, une musique très savante finalement. J’ai finalement trouvé la manière de faire ma musique à moi. 

Dans quel état d’esprit avez-vous écrit cet album Winrah Mara ?
On venait de finir l’album précédent Qibla Wa Qobla. Il a reflété différentes périodes de ma vie. Il y a eu une grande période où je n’ai pas enregistré et du coup, c’était assez éclaté. Il y avait des morceaux en arabe que j’avais enregistré à différents moments, et même un morceau en français. J’étais donc assez pressé d’écrire l’album suivant car je voulais faire quelque chose de très ramassé, avec une forte unité dans l’écriture, et dans la musique aussi. J’ai écrit Winrah Mara sur une période très courte, avec la volonté qui n’était pas là au début mais qui s’est confirmée au fur et à mesure, qu’il y ait un fil conducteur. Dans chaque chanson, il y a un personnage central. Et je me suis rendu compte qu’ils avaient tous un point commun : ils sont tous un peu en dehors de la société, avec une singularité très forte et qu’ils luttaient à maintenir leur singularité que la société essayait d’effacer.

C’est une partie de vous-même que vous retranscrivez ainsi ?
Je ne sais plus quel écrivain a dit que toute fiction était quelque part une autobiographie ! Dans les fictions, on met toujours beaucoup de soi-même. J’ai écrit sur des personnages très différents : des femmes, le fou du village, le mec qui vit complètement isolé dans la montagne et qui est visité par une voix. Il y a aussi le gars qui vit sa religion de manière très personnelle et qui essaie de défendre cela. Ce sont des personnages très différents de moi mais je crois qu’il y a un souffle très personnel, oui.

Vous mettez beaucoup de soin à faire des clips, est-ce complémentaire de votre travail musical ?
Le fait de faire des clips est assez récent. Sur l’album précédent, j’étais plutôt réfractaire…je me disais que la musique se suffisait à elle-même. Et puis petit à petit, je prends plaisir à en faire, parce qu’aussi, je viens du théâtre et j’aime jouer comme dans le dernier, Soutbouk. Le clip est un éclairage qui reste personnel. J’aime aussi l’idée de travailler avec des gens qui sont extérieurs à la musique et au groupe qui joue avec moi. Faire des clips était l’occasion d’ouvrir d’autres fenêtres. C’est aussi une façon bien sûr de rendre accessible ma musique au plus grand nombre.

Jawhar Winrah Mara (62TV Records / Pias) 2019
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