Jawhar, chasseur de beauté

Le chanteur tunisien Jawhar. © Silvano Magnone

Avec son 4e disque, Tasweerah, le folk singer tunisien Jawhar forge des autoportraits intimes, des créations mélancoliques à la clarté évidente, des poésies métaphysiques, tissées de fragilités et de lumière.

Une douceur limpide, comme les murmures d'un cours d'eau, une mélancolie à la clarté implacable, une sérénité sans griffure : voici ce que dégagent, à la première écoute, les douze chansons de velours qui composent le quatrième disque du folk singer tunisien Jawhar.

Lorsque l'on s'entretient avec lui, une semblable impression se fait jour. L'homme répond de sa voix grave, d'un débit lent, où chaque mot pèse, minutieusement posé : un propos sur le fil, apaisant, qu'il semble interdit d'interrompre.

Jawhar évoque sa vie "tranquille", dans la campagne belge, à quelques encablures de la frontière française, le canal et la forêt à deux pas, une ruralité apprivoisée, sans reliefs topographiques, qui correspond à ses aspirations : "j'alterne la vie en tribu, en tournée et les moments de repli chez moi, devant un feu… ".  Alors, bien sûr, cette vie aux contours paisibles, imprègne ses créations.

Paysages intérieurs

Le chanteur a commencé ainsi cet album : chez lui pendant le confinement, avec quelques incursions en Tunisie. Comme à son habitude, il s'est laissé guider par ses mélodies initiales, qui surgissent dans l'air et font comme des dessins en couleur, prompts à accueillir ses images, ses aventures…

Puis, sur les contours tangibles de ce premier rêve, dans son écrin, viennent se nicher des mots, des histoires. Et peut-être des secrets, forgés dans le creux d'un songe éveillé, d'une "écriture automatique", qui échappe à son auteur. "D'un coup, les morceaux se mettent à parler d'eux-mêmes", confie-t-il.

Et, à l'inverse de son précédent disque (Winrah Marah, en 2018), qui égrenait une galerie de personnages, celui-ci constitue plutôt une série d'autoportraits intimes, comme son nom l'indique : Tasweerah signifie "portrait, instantané, projection de l'esprit".

Ainsi, dans ses textes ciselés, aux allures de poésies métaphysiques, Jawhar parle-t-il de temps suspendu, de solitude, de séparation, d'éternel présent, de combat contre soi-même… Et à la réécoute, sur ses pistes en forme de paysages intérieurs, des failles apparaissent, des cicatrices comme des blessures de guerre, des béances sur lesquelles il trébuche et d'où sourd la lumière. Il le confesse : "Pendant la composition, j'étais un peu 'down'… J'entends les fragilités de ma voix. Je crois que la musique m'aide à savoir qui je suis. Sans tricherie".

Durant cette création introspective, Jawhar a subi des affres, dont une solitude finale, une obstination, rageuse et désespérée, vers une quête de perfection vocale qu'il n'atteignait jamais... "Finalement, quand j'ai retrouvé mes musiciens, la première prise a été la bonne." Une photo de l'instant, avec ses défauts… et ses charmes.

Cultiver des poésies

 

Car, en filigrane de ses autoportraits, le folk singer questionne le statut de l'artiste et son rôle dans la société. "Notre quête d'absolu, de beauté, nous remplit l'âme. Mais parfois, elle influe aussi négativement sur notre vie sociale, notre famille, nos amis…, dit-il. Je me pose beaucoup de questions sur la place que j'accorde à mon travail, ma passion, et me demande si, finalement, je n'en suis pas l'esclave."

Par ses mots créés qui l'enchaînent et lui donnent des ailes, Jawhar, mystique et mystérieux, forge des poésies hors-sols, qui disent l'essentiel de la vie. "Je juge l'art trop noble ou trop sacré pour parler de problématiques abordées dans des débats à la radio ou à la télé. Je considère le poète, le musicien, comme un 'chasseur de beauté'. À ses côtés, tous ces gars en train de se prendre la tête, de se bagarrer pour quelques sous, pour des bribes de pouvoir, vont disparaître… Mais la beauté, elle, restera. Elle traversera les siècles. C'est notre richesse", affirme-t-il.

Pour ce fan de Nick Drake et Emily Dickinson, la poésie consiste en un "pli, une ridule sur l'eau, un reflet déformé du monde, aussi vite effacé, un rayon de soleil parmi les branches d'arbres : un moment éphémère… " Et voici ce qu'il s'attache à capter par ses chansons – des instants d'éternité.

Chez lui, dans sa campagne, il jardine et plante des graines : "Entre mes deux paumes levées vers le ciel lorsque je chante, et mes deux mains enfouies dans la terre lorsque je jardine, il y a une correspondance. Dans les deux cas, j'essaie de cultiver, de soigner, de faire pousser des créations."
 

Jawhar Tasweerah (62TV/Pias) 2022
 

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