Rencontres de Gaël Faye autour d'un "Lundi Méchant"
Après l’incroyable succès de son livre Petit Pays (un million d’exemplaires en France), devenu film, Gaël Faye est de retour avec son second album Lundi Méchant. Un disque nourri de rencontres avec Christiane Taubira, J.Period ou encore Harry Belafonte.
RFI Musique : Quel a été le point de départ de ce nouvel album ?
Gaël Faye : J’ai tenté de l’écrire pendant la tournée de mon disque Des fleurs, je n’ai pas réussi. J’ai pris une année de pause en 2019 pour concevoir cet album en composant d’abord la musique. J’étais à la recherche de nouvelles esthétiques, de nouveaux musiciens. L’électro y est assez présente avec des synthés et de la MAO (musique assistée par ordinateur), mélangée avec des sons acoustiques. Le premier titre que j’ai écrit, c’était Respire.
Cet album est né de nombreuses rencontres…
Afin de nourrir mes envies de me renouveler, je souhaitais rencontrer des personnes que je ne connaissais pas. La première fut Christiane Taubira, qui m’a envoyé 4 à 5 poèmes, Seuls et vaincus m’a fortement parlé, il y a un crescendo, une mise en garde sublime, qui isole les intolérants. J’imagine qu’elle a dû l’écrire dans le contexte du mariage pour tous, mais je ne lui ai pas demandé afin de me le réapproprier. D’où une outro, Lueurs, avec Melissa Laveaux, dans laquelle j’évoque les violences policières.
Harry Belafonte est aussi invité sur cet album…
J’avais écrit une lettre à Harry Belafonte, qui est l’une de mes idoles depuis très longtemps. Il m’a invité à venir le rencontrer à New York. Lui comme Christiane Taubira ont mené des combats difficiles sans jamais désespérer. J’avais envie de créer un album optimiste, ce qui est difficile en cette période. Je ne voulais pas tomber dans un optimisme niais ou naïf. Harry Belafonte m’a parlé de l’époque des droits civiques, de Martin Luther King, de son amitié avec James Baldwin, de son album avec Miriam Makeba… cela m’a beaucoup appris, c’était vivifiant. Il se définit comme un activiste qui fait de la musique. C’est intéressant à une époque où les artistes s’excusent presque de faire de la politique. Je suis retourné à New York en février 2020 pour enregistrer son titre Jump in the Line, que je revisite. J’en ai profité également pour rencontrer le producteur J.Period qui a composé NYC, une sorte de carte postale sonore du rap boombap new-yorkais des années 1990, hommage au Cream du Wu Tang Clan. J’ai aussi enregistré Only Way is up avec Jacob Banks à Londres ou Histoire d’amour et Kwibuka, qui clôture l’album, avec Samuel Kamanzi, un guitariste et chanteur rwandais, qui est mon voisin à Kigali.
Vous habitez toujours Kigali ? Le succès de Petit pays vous a t-il étonné ?
Avec la sortie de mon livre Petit pays, j’ai un peu fait le VRP, j’habite désormais à Paris. La sortie du film il y a quelques semaines —pour lequel j’ai travaillé sur le scénario—a signé la fin d’un cycle. C’est retombé, j’ai travaillé sur cet album, sur d’autres histoires. Cela reste quelque chose d’incroyable. Je n’ai pas encore digéré toutes les rencontres.
En ces périodes de virus, de couvre-feu et confinement, les "lundis méchants" représenteraient une résistance…
Les lundis méchants sont une tradition de Bujumbura, où les gens font la fête le lundi soir comme un pied de nez aux patrons, une façon de dire qu’ils ne sont pas des employés modèles, que la nuit leur appartient. Beaucoup de chansons de l’album sont traversés par une envie de rébellion. Pour le moment, les gens sont sages et responsables, ils acceptent beaucoup de choses, mais je ne sais pas pour combien de temps. Les règles seront contournées, comme à Bujumbura à l’époque des couvre-feux.
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Vous publiez également un livre pour enfant inspiré de l’ennui…
Avec des aquarelles signées Hyppolite. J’y parle des vertus de l’ennui que je pouvais connaître gamin. Je suis persuadé que tous les enfants sont des artistes car ils ont accès à des mondes imaginaires de façon instinctive. En grandissant, cet ennui créatif est plus difficile à atteindre.
Pourquoi écrivez-vous ?
J’écris pour les mêmes raisons que lorsque j’ai commencé à écrire des poèmes vers l’âge de 12 ans : pour comprendre ce qui m’arrive, cela permet de rendre un peu cohérent le chaos de ma vie. Par exemple, le roman a permis de mettre un peu d’ordre dans deux années terribles de ma vie, de la guerre au Rwanda. Je m’en suis rendu compte après coup.
Gaël Faye Lundi Méchant (Excuse my French/Believe) 2020