Marc Nammour et Loïc Lantoine, la fierté des mots
Un projet hybride entre rap et poésie qui refuse la fatalité de l’époque, c’est Fiers et tremblants, l’album bicéphale de Marc Nammour et Loïc Lantoine.
Marc Nammour, voix du collectif multiforme La Canaille, apprécie depuis longtemps les prises de parole poétiques de Loïc Lantoine : "Je le connais sur disque depuis son premier album. Sa plume est une des rares qui me touche en français. Nous nous étions rencontrés une fois sur scène où nous avions mélangé son morceau Mauvais ouvrier avec mon texte L’Usine au Bataclan, en soutien au journal L’Humanité, en 2010. Après cette improvisation mémorable, nous nous étions dit en loge que ce serait bien de retravailler ensemble un de ces jours". Onze ans après cette première rencontre, le jour est venu, et le résultat est concluant. Fiers et tremblants est un projet à deux voix entre slam, poésie scandée et rap de combat.
On n’est en effet ni dans le rap stricto sensu, ni dans la chanson française avec ce projet hybride aussi bien capable de sampler Anne Sylvestre dans Les Gens qui doutent que de se lancer dans des compositions électroniques truffées de contretemps mécaniques et de sonorités cosmiques (Gloire aux perdants).
La thématique est celle de l’antithèse d’une époque qui célèbre les premiers de cordée, les gagnants pleins de certitudes, pour vanter les mérites de ces perdants dont les hésitations, les doutes et les fêlures semblent aux deux chanteurs, pleines d’espoir et dignes d’être célébrées.
Une voie nouvelle
"Des au revoir, il n’y en aura plus" lance Loïc dans Derniers vers, conclusion épique d’un album bicéphale assez bref (9 titres) mais qui ouvre une voie nouvelle, alternative au rap d’aujourd’hui qui a, dans sa majorité, abandonné la voix de la révolte pour se fondre dans la masse d’une parole plus consensuelle, sans aspérités ni utopie.
Car si le rap dit "conscient" est devenu obsolète auprès de la nouvelle génération des rimeurs de fond, l’univers des cracheurs de mots ne manque pourtant pas d’artistes qui ne se résignent pas à l’anesthésie de la lutte verbale. Il est clair que le public auquel s’adresse le duo Marc & Loïc n’est pas celui qui consomme le son à travers la boucle infinie des streams qui se succèdent, chaque nouveau projet propulsant le précédent dans les limbes de l’oubli.
Ici les mots veulent durer, et les références sont autant Léo Ferré que Public Enemy. On navigue entre old school et expérimentation, à mi-chemin entre cette "chanson française engagée" d’antan et une certaine idée du hip hop, celui des années 1990, quand les textes étaient la colonne vertébrale du rap.
Réussissant à éviter l’écueil du rap donneur de leçons, ce disque est un cri d’amour à ces petites gens, ces "héros ordinaires" qui sont le socle des neuf textes ici présentés et mis en musique.
À contre-courant
"Je sais d’où je viens, jamais où je vais" (Les Fauves) : une façon d’exprimer la recherche perpétuelle d’une nouvelle voie pour les deux scandeurs, qui ne reculent pas devant l’expérimentation, quitte à risquer de passer pour des doux rêveurs ou des nostalgiques d’une autre époque.
Pourtant, "C’est l’heure de garder l’ardeur", annonce Marc dans le morceau qui donne son titre à l’album, "L’époque est délétère, on a jugé la réplique nécessaire". Une réplique qui est une alternative inédite dans le monde du prêt à consommer. Pas toujours facile d’être à contre-courant, mais Marc Nammour et Loïc Lantoine sont plus que prêts à relever le défi.
Marc Nammour et Loïc Lantoine Fiers et tremblants (La Canaille/L’Autre Distribution) 2021.
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