Le Jazz de Joe : Groov’Bones et Thierry Fanfant
Chaque semaine, dans L'Épopée des musiques noires sur RFI, Joe Farmer met en relief la diversité des couleurs sonores nées de la diaspora africaine dans le monde. Groov’Bones est assurément une formation très représentative de cet écho rythmique et mélodique ancestral. S’il s’agit d’abord d’une histoire collégiale, ce disque semble cependant guidé par la pulsation d’un impeccable instrumentiste dont la valeur n’est plus à prouver. Il s’appelle Thierry Fanfant et développe, depuis de nombreuses années, une musicalité riche, ouverte et généreuse, probablement héritée de ses racines caribéennes et d’une lignée artistique indiscutable.
Il n’est pas illégitime de dire que la famille Fanfant est une institution en Guadeloupe. Depuis le début du XXe siècle, de génération en génération, la préservation du patrimoine sonore accompagne le quotidien de cette swinguante dynastie. Le patriarche, Roger Fanfant, était violoniste. Son frère Robert, également. Ils étaient alors les instigateurs d’un jazz métis qui empruntait à la biguine et à la mazurka créole.
Roger eut 5 fils, tous musiciens : Gilbert (contrebassiste), José (batteur), Fred (pianiste), Christian (percussionniste) et Guy (chanteur et batteur). Quand on vous dit que les Fanfant sont incontournables en Guadeloupe ! Et nous n’avons pas encore mentionné les petits-enfants, Thierry, Fabrice et Jean-Philippe, respectivement bassistes et batteur. Nous voilà donc face à une généalogie musicale plutôt imposante qui nous éclaire sur la destinée de tous ces virtuoses liés par un savoir-faire consanguin.
Par conséquent, évoquer la carrière de Thierry Fanfant suppose d’en connaître son origine. La multiplicité des sources culturelles auxquelles il fut confronté durant sa jeunesse, et tout au long des 40 dernières années, crédite son talent.
Lorsqu’il découvre la rondeur acoustique d’une basse, Thierry Fanfant a 12 ans. Cette première approche de l’instrument va décider de sa passion future. Il suit des cours, se perfectionne auprès de brillants instrumentistes comme le regretté Jean-François Jenny-Clark dont on peut supposer que l’éclectisme l’inspirera définitivement. En effet, tout au long de son évolution professionnelle, Thierry Fanfant cherchera la diversité des notes et des harmonies.
C’est ainsi qu’il accompagnera, soutiendra, guidera des artistes de tous horizons avec une rigueur irréprochable et un enthousiasme constant. De Papa Wemba à Angélique Kidjo, de Lokua Kanza à Carlos Santana, ses prestations feront l’unanimité. Il pourrait presque entrer au Guinness Book des Records car il prit part, en l’espace de 40 ans, à plus de 800 enregistrements discographiques.
Certes, il lui reste du chemin à parcourir pour se confronter à son homologue américain, Ron Carter, qui totalise plus de 2200 sessions de studio, mais, au-delà de cette comparaison, somme toute, assez futile, saluons la flexibilité de ces maestros capables d’imprimer leur force expressive dans des contextes très différents et d’endosser des rôles exigeants comme directeur musical, arrangeur, compositeur…
Thierry Fanfant s’investit sincèrement dans chaque sollicitation quitte à en oublier sa propre voie. Finalement, au regard de ses très nombreuses apparitions aux côtés des plus grands, ses productions personnelles sont, à notre grand désarroi, trop rares. On se souvient de Intimes en 2005, de Simé Lanmou en 2011 ou de Frères en 2014 avec le pianiste David Fackeure, mais le Fanfant prend son temps. Il est donc heureux de découvrir aujourd’hui Groov’Bones qui n’est certes pas présenté comme le nouvel album de Thierry Fanfant, seul, mais dont le parfum semble refléter l’humeur du personnage.
Il serait cependant désobligeant de ne concentrer notre écoute que sur les prouesses stylistiques du bassiste quand chacun des protagonistes de cette formation frétillante impose un rythme tellement trépidant qu’il devient impossible de ne pas taper du pied. Ajoutez à cela quelques invités de choix comme Mario Canonge au piano ou Arnaud Dolmen au tambour Ka et vous obtenez la recette parfaite d’un groove multicolore.
Entre soul, funk, jazz et reggae, Groov’Bones est une bonne illustration de la vigueur des musiques noires au XXIe siècle. En dehors d’une judicieuse adaptation d’un classique de rocksteady intitulé You don’t love me que vous avez forcément entendu ici ou là, toutes les compositions de Groov’Bones sont originales.
Elles épousent pourtant cette vibrante source africaine que notre oreille perçoit instinctivement dans le répertoire afro-planétaire. Thierry Fanfant et ses partenaires ont ranimé un esprit qui méritait leur touche personnelle. Nous attendions depuis trop longtemps un disque aussi enjoué et maîtrisé. Il ne nous reste plus qu’à trépigner d’impatience à l’idée d’acclamer ces cinq acrobates du groove le 3 avril 2018 au New Morning à Paris.
Thierry Fanfant et Groov’Bones (Chris Music) 2018
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