Gérald Toto, à posteriori

Gérald Toto publie un 4e album solo sobrement intitulé "Sway". © Benoit Peverelli

Rêveur instinctif, Gérald Toto fait avant tout confiance à ses sens. C’est ainsi que ce guitariste, chanteur, arrangeur et réalisateur a composé Sway, son 4e album sous son seul nom, un album qui le rend loquace… à posteriori.

Parisien pour l’état-civil, Gérald Toto a grandi, sa première année passée, à St-Cloud. "Je suis un enfant du babydom" relate Gérald Toto avant d’ajouter un brin énigmatique, "le babydom, le fameux !". Dans ses mots, ses silences aussi, et à travers son phrasé doux appuyé par un fin sourire, on devine que ce "fameux Babydom" n’a de fameux que l’adjectif qu’il lui accole. Que cette vague migratoire interne d’inspiration gouvernementale qui a vu au milieu des années 60, 70 000 Antillais dont ses parents, "s’installer" en métropole, a littéralement déraciné cet enfant conçu sur le paquebot.

La Martinique, l’empreinte essentielle

"La Martinique, c’est mon essence. C’est ce qui me constitue. À St-Cloud, je peux avoir la nostalgie des mes copains d’alors, mais rien en terme de terroir" explique-t-il, avant de parler musique. "Mes oncles m’ont fait découvrir les musiques afro-caribéennes, africaines aussi, une partie de la famille étant métissée, la soul et le reggae" détaille-t-il.

Devenu guitariste puis bassiste, après quelques expériences rock, il s’intéresse au jazz. "J’ai plongé dans Miles (Davis, ndlr). D’une manière générale, j’ai toujours été attiré par les hommes, les femmes qui inventent des passerelles" résume celui qui n’a pas oublié ce partiel de droit, durant lequel un air lui est passé par la tête. "Je me suis levé et suis parti composer le morceau chez moi. J’avais compris que ma vie, mon chemin était là.".

"Quand on est soi, on est incontestable"

Rapidement équipé d’un multipistes, il se lance dans la réalisation de titres avec les musiciens de Tatoom, son groupe d’alors, ou d’autres, comme le guitariste Matthieu Chédid ou le oudiste Smadj. En 1997, il travaille à la composition et la réalisation de Baïda, le premier album de Faudel. Le succès est au rendez-vous. L’année suivante, sort Les Premiers jours, son premier album sous son nom.

C’est lors d’une tournée avec Smadj qu’il expérimente et affine sa propre langue. "Cette langue imaginaire s’est imposée à moi comme un nouveau champ/chant d’exploration. C’est une langue émotionnelle que tu peux partager avec n’importe quel humain. Je ne chante pas pour dénoncer, mais pour être, pour dire ma réalité" clarifie-t-il avant de d’analyser – à posteriori – cette époque. "Je me préparais sans le savoir, à entrer dans l’univers Toto-Bona-Lokua qu’allait nous suggérer un peu plus tard, Laurent Bizot (*)."

En 5 jours de studio et 5 jours de mix, les trois musiciens signent ensemble, une série de titres à l’empreinte forte. Il en tire une leçon pour la vie. "Le plus important, c’est d’être soi car, quand on est soi, on est incontestable". Publié en 2004, cet album sous leurs trois noms connaitra une suite, 13 ans plus tard avec la sortie de Bondeko, lui aussi acclamé par la presse et le public. Entre-temps, il publie sous son seul nom Kitchenette en 2006 et Spring Fruit en 2011.

Celui qui dit et celui qui écoute

Sway, son quatrième opus solo est "le fruit d’une déconstruction" comme il l’explique lui-même : "Ces quatre dernières années, j’ai voulu sortir de mes zones de confort, de mes habitudes artistiques. J’ai enregistré plus d’une centaine de notes sonores lors de balances, de séances de travail, au réveil quand ton cerveau n’est pas encore dans le contrôle ou au marché par exemple, quand tu es dans une rythmique de vie qui prend le dessus. Parfois, j’en perds, mais ce n’est pas grave. Je ne veux pas être le propre vampire de ma création" analyse-t-il.

"Alger 1969 est né par exemple lors d’une séance de travail. J’ai fait le thème à la guitare et l’ai laissé plusieurs mois sans y toucher" lâche-t-il comme on lit une recette, sans affect particulier. "Plus tard, amené à collaborer avec Nèfta Poetry autour d’une performance qui avait trait à Frantz Fanon et aux premières années de l’indépendance algérienne, la danseuse et poétesse a eu besoin d’une musique. J’ai eu le sentiment que mon ébauche entrait en résonance avec son propos. Je l’ai ressorti de sa boite et ai impulsé les intensités qui l’habitent aujourd’hui."

Depuis, à force de les jouer, il trouve à ses morceaux des sens cachés à la façon d’un psychanalyste. Sauf que lui, est celui qui dit et celui qui écoute. "L’esquisse, le brouillon est une pierre blanche. Plus je les joue, plus ils prennent de la force. Au regard de ce qui se passe aujourd’hui, ce titre – Alger 69 —offre une autre lecture et peut presque paraitre sulfureux quand tu découvres la juxtaposition de deux termes de son nom et de ce qu’ils évoquent chacun, indépendamment de l’autre, à l’époque et aujourd’hui".

En effet, Alger fut cette année là, avec le premier Festival Panafricain, le lieu de toutes les revendications indépendantistes et toutes les utopies. "69, c’est aussi l’année érotique. Tout ça, est bien loin aujourd’hui " concède-t-il. "My Girl Friend est une expression de tendresse, une expression qui peut être incarnée par n’importe quelle personne, de n’importe quel genre. C’est une mélodie avant tout". Une mélodie qui libère des souvenirs, véhicule des images, des pensées et impressionne l’imaginaire émotionnel de celui l’écoute sans avoir recours à aucun traducteur. Universel !

(*) : le créateur du label Nø Førmat

Gérald Toto Sway (Nø Førmat) 2018
En concert le 10 janvier au Hasard Ludique (Paris)
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